DES SUCCèS TACTIQUES POUR L’ARMéE D’UKRAINE… MAIS QUELS EFFETS SUR LA GUERRE?

L’armée ukrainienne a revendiqué une frappe spectaculaire, par une centaine de drones coordonnés, qui a détruit dans la nuit du 17 au 18 septembre un immense dépôt de munitions à Toropets, localité située à environ 400 km au nord-ouest de Moscou.

Alors que les nouvelles du front terrestre ne sont pas toujours bonnes pour l’Ukraine, Kiev poursuit et développe ses capacités aériennes, en frappant en profondeur la Russie.

La plus importante attaque aérienne de Kiev

Cette attaque aérienne n’est pas la première du genre effectuée par l’Ukraine en territoire russe, il s’en faut de beaucoup. Mais c’est probablement la plus importante jamais menée par Kiev en Russie depuis le début de la guerre, en février 2022.

Premier motif, mais non le seul, d’une telle attaque : les dirigeants ukrainiens veulent détruire des munitions, des installations et des équipements militaires, situés en Russie… dont ils ont de très bonnes raisons de croire qu’ils seront utilisés pour attaquer l’Ukraine.

Déjà en 2022, il y avait eu des frappes ukrainiennes du côté russe. Juste de l’autre côté de la frontière, une ville militarisée comme Belgorod avait été ciblée quelques fois.

Mais, il faut le souligner, ces attaques étaient et restent sans comparaison avec les frappes massives russes en Ukraine. Les frappes russes ont visé et continuent de viser des cibles civiles par centaines, encore ces tout derniers jours à Kiev (frappée huit fois en deux semaines en septembre) et à Kharkiv… alors que l’essentiel des frappes ukrainiennes en Russie vise des cibles strictement militaires.

D’ailleurs, les chiffres de civils tués de part et d’autre depuis deux ans et demi sont sans commune mesure : l’Ukraine en est à presque 12 000 décès officiels (sans doute plus en réalité).

Quant aux civils russes tués en Russie par l’Ukraine pendant la même période, il y en a eu, mais ils se comptent par dizaines… il n’est pas sûr que ça atteigne les trois chiffres. (On parle bien ici des victimes civiles, et non pas des soldats tués.)

Aller en territoire russe : le tournant ukrainien

Mais par rapport à 2022 et même à 2023, il y a aujourd’hui beaucoup plus de frappes ukrainiennes en Russie.

L’année 2024 a vu, du point de vue ukrainien, la volonté de systématiser les contre-attaques en territoire russe et d’en faire un instrument stratégique, au-delà du ciblage des bases militaires, des dépôts d’armes et des lance-missiles.

Ce développement a abouti, début août, à une véritable incursion de l’armée de terre dans la région de Koursk, avec notamment l’idée — fondée ou non — de faire diversion et de détourner des troupes russes du Donbass, ou encore de faire de ce territoire provisoirement occupé, une éventuelle monnaie d’échange.

Un mois et demi plus tard, Kiev affirme tenir ses positions, même si, selon des experts comme ceux de l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), basé à Washington, il y a eu un léger recul ukrainien dans la deuxième semaine de septembre. Les Russes disent avoir repris quelques villages; les Ukrainiens seraient passés de 1200 à 1000 kilomètres carrés occupés.

Des sources russes ont rapporté la mort de quelques dizaines de civils. Kiev crie à la propagande et proteste de son respect rigoureux du droit humanitaire en menant sa guerre — contrairement à l’armée russe, qui a commis des atrocités avérées contre des civils ukrainiens.

Des frappes devenues courantes

Quant aux frappes aériennes par l’Ukraine, elles sont devenues courantes. Avec des drones et des missiles, mais surtout des drones… en attendant, peut-être, des missiles à longue portée.

Depuis un an, pratiquement chaque semaine, voire plusieurs fois par semaine, l’armée de Kiev lance des opérations avec des drones, d’envergure très variable. Cela va de la petite frappe ponctuelle par deux ou trois drones, aux raids massifs comme celui qui a eu lieu en banlieue de Moscou, le 10 septembre, et celui de Toropets le 18 septembre.

Les Ukrainiens ont utilisé des drones turcs… mais ils en fabriquent eux-mêmes de plus en plus.

Ce qu’on a vu dans la région de Toropets, selon les images disponibles (y compris des images satellitaires) était vraiment impressionnant. Un immense nuage de fumée a recouvert complètement, pendant des heures, ce qui était un grand complexe de hangars et d’entrepôts militaires russes. Plusieurs dizaines de bâtiments sur une superficie importante (quelques kilomètres carrés). On a diffusé des photos d’avant l’attaque… et d’autres, prises alors que tout flambait.

Les Ukrainiens prétendent même avoir identifié sur place des missiles aux couleurs nord-coréennes! On le sait, la Corée du Nord, comme la Chine et l’Iran, participe directement ou indirectement à l’effort de guerre russe.

Très impressionnant… mais insuffisant

Ces épisodes d’offensives ukrainiennes sont-ils de nature à renverser le cours de la guerre, prise dans son ensemble? Non… et c’est exactement ce qu’a reconnu, le 18 septembre au matin, Mykhailo Podoliak, proche conseiller du président Zelensky. Cité par le New York Times, il a déclaré : C’est très efficace, c’est très impressionnant… mais c’est insuffisant!

Et Podoliak a réitéré ce qui est la demande, le gros sujet de discussion en cette fin d’été 2024, entre l’Ukraine et les pays qui la soutiennent. À savoir : Kiev veut des missiles de précision à longue portée, assortis de l’autorisation explicite de frapper en profondeur des cibles en Russie… en utilisant ces missiles occidentaux.

Kiev veut ainsi pouvoir frapper des cibles comme celle de Toropets, mais aussi, pouvoir intercepter des avions qui larguent, depuis le milieu de l’été, sur Kiev, sur Kharkiv et d’autres villes, de meurtriers missiles de croisière.

On voudrait aussi atteindre le fameux pont de Kertch (à 300 km de Kherson à vol d’oiseau), construit après l’invasion de la Crimée en 2014. Un pont qui justement relie la Russie à la Crimée par voie de terre, un passage où transite énormément de matériel militaire russe.

Réticences occidentales, encore et toujours

La réponse des Occidentaux à cette autorisation de frappes en profondeur?

Pour l’instant, c’est globalement non. Les Allemands refusent l’envoi de missiles Taurus (portée de 500 km). Selon le chancelier Olaf Scholz, ce serait déclarer directement la guerre à Poutine. Poutine, évidemment, répète l’argument et en rajoute… avec, une fois de plus, le chantage nucléaire.

Les Américains : À priori NON, mais on réfléchit (en fait, certains missiles ATACMS ont bien été livrés, mais avec l’interdiction express de frapper au loin, hors d’Ukraine). Les Britanniques et les Français, qui ont envoyé un petit nombre de tels missiles (SCALP, Storm Shadows) : Oui, peut-être, on y pense, on va vous revenir pour l’autorisation.

C’est un schéma qu’on a vu plusieurs fois par le passé, avec les chars (non, non, non… et finalement oui), avec les avions F-16 (non, non, non... et finalement oui). Des équipements qui ont fini par être livrés. Mais, selon les Ukrainiens, toujours trop peu, trop tard.

Volodymyr Zelensky a déclaré la semaine dernière : C’est gentil de réfléchir… mais pendant que vous réfléchissez, nous on continue de se faire bombarder.

Une guerre qui reste terrestre

La dimension aérienne de la guerre prend donc une certaine importance… Mais ce conflit reste essentiellement une guerre au sujet de la terre, une guerre de récupération d’un territoire légitime et spolié, qu’un des deux camps entend récupérer, contre l’autre camp défini comme impérialiste, violent et dictatorial. Une guerre qui se voit comme juste, emblématique du destin de l’Europe et de l’avenir de la démocratie… comme d’autres guerres avant elle.

Mais dans le Donbass, où le gros des combats terrestres se déroule depuis plus de trois mois, là-bas, les troupes russes progressent… certes, à des coûts humains épouvantables. Et aussi, très lentement en termes quantitatifs : en fait de superficie, on parle d’à peu près 250 kilomètres carrés, rognés entre le 1er juin et le 10 septembre — soit un quart de ce que les Ukrainiens avaient pris en quelques jours en août, autour de Koursk. Mais qualitativement, ce territoire pourrait représenter une perte stratégique importante pour Kiev dans la province de Donetsk.

Un million de vies fauchées

Un mot pour finir sur les horribles chiffres calculés par le Wall Street Journal, publiés le 17 septembre. Des chiffres sur les pertes militaires des deux côtés, établis avec un luxe de sources et un grand soin méthodologique. Cela donne : 200 000 morts et 400 000 blessés côté russe; 80 000 morts et 400 000 blessés côté ukrainien.

Le cap épouvantable du million de vies fauchées et de blessés a été franchi. Des chiffres plus terribles, proportionnellement, pour la partie ukrainienne (quatre fois moins peuplée) que pour la partie russe, dont les dirigeants sont, eux, toujours prêts à sacrifier plus de chair à canon au profit de leur quête impériale.

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