LES VéNéZUéLIENS PARTAGéS ENTRE LA CRAINTE ET L’ESPOIR à L’APPROCHE DES éLECTIONS

Ce dimanche, les Vénézuéliens pourraient mettre un terme à un quart de siècle de pouvoir du Parti socialiste unifié du président Nicolas Maduro. Edmundo Gonzalez, 74 ans, qui a remplacé à la dernière minute la cheffe de l’opposition Maria Corina Machado, déclarée inéligible, a de réelles chances de l'emporter.

Les derniers sondages d’opinion donnent en effet 59,1 % des intentions de vote à Edmundo Gonzalez contre 24,6 % à Nicolas Maduro.

Ces élections représentent peut-être la plus grande occasion qu’a l’opposition de créer une transition électorale par les urnes, estime Jesus Delgado Valery, directeur de l’organisme Transparencia international.

Alors que l’opposition mène dans les sondages par plus de 20 points d’avance, les Vénézuéliens se prennent à rêver d'un changement qui ramènerait la prospérité et, avec elle, les millions de Vénézuéliens qui ont fui le pays depuis l’accession au pouvoir de Nicolas Maduro et la débâcle économique.

Un pouvoir contesté

Arrivé au pouvoir par intérim en 2013 à la mort de son mentor, Hugo Chavez, Nicolas Maduro a été élu cette même année avec 50,16 % des voix au terme d’un scrutin contesté, marqué par l'abstention. Cinq ans plus tard, il a été reporté au pouvoir dans des élections encore entachées d’irrégularités et que la communauté internationale n'a pas reconnues.

Résultat : les États-Unis ont imposé des sanctions qui ont affaibli encore plus un pays exsangue. L'économie du Venezuela s'est contractée de 80 % en sept ans et le pays a connu quatre années consécutives d'hyperinflation, érodant l’épargne et rendant les produits de base inaccessibles.

Les Vénézuéliens n’en peuvent plus, résume Rafael Uzcategui, codirecteur de l’ONG Laboratorio de paz (Laboratoire de paix), et c’est pour cela qu’ils se préparent à voter massivement pour le candidat de l’opposition.

Il y a un ras-le-bol à cause de la situation d'appauvrissement généralisé et de la détérioration des services publics, souligne M. Uzcategui.

Selon un sondage de l’Université catholique Andrés Bello, à Caracas, 71 % des Vénézuéliens pensent qu’un changement de gouvernement s'impose.

Même une certaine proportion de la base chaviste n’appuie plus le régime, observe l’analyste. Cela s’explique par la situation économique, mais aussi par l’exode d’une grande partie de la population. Près de huit millions de Vénézuéliens ont quitté le pays depuis 2015, soit 20 % de la population. Une réalité niée par le président Maduro, qui insulte les migrants et les traite comme des ennemis politiques, précise M. Uzcategui.

L'opposante Maria Corina Machado, dont les trois enfants vivent à l’étranger, a, au contraire, épousé leur cause. La consigne principale de sa campagne est : Ramenons nos enfants à la maison, illustre M. Uzcategui. C’est un message émotionnel très puissant qui rejoint une grande quantité de personnes qui souffrent de l'absence de leurs proches, souligne-t-il.

Entraves et violation de droits

Le droit de vote des migrants est bafoué par le régime. Alors qu’environ 4,5 millions de Vénézuéliens en exil sont en âge de voter, moins de 70 000 pourront effectivement le faire. La liste de prérequis et d’embûches imposée par le gouvernement est telle qu’en pratique il leur sera quasiment impossible de se prononcer.

Même si ses papiers sont en règle, la professeure d’université Dhayana Fernandez, qui réside en Colombie, fait partie de ceux qui ne pourront pas participer au scrutin. C’est une stratégie du gouvernement pour empêcher notre participation, croit-elle, puisque le gouvernement Maduro sait bien que la diaspora ne le porte pas dans son cœur.

Les quelque 30 000 Vénézuéliens qui résident au Canada (selon le recensement de 2021) ne pourront pas voter, puisqu’il n’y a pas de représentation diplomatique de leur pays chez nous.

Il ne s’agit là que d'une des multiples mesures prises par le régime pour empêcher la tenue d’une élection juste et transparente, dénonce Jesus Delgado Valery, de Transparencia international.

Il s’y était pourtant engagé dans le cadre des Accords de la Barbade, qui prévoyaient la tenue d’élections libres en échange d’un allègement de l’embargo pétrolier qui pèse sur le Venezuela.

S’ajoutent à cela l’arrestation d’opposants politiques, la déclaration d’inéligibilité des candidats et les obstacles à l’accréditation des observateurs internationaux. Après que le gouvernement a retiré son invitation aux observateurs de l’Union européenne, seuls quelques experts de l’ONU et de la Fondation Carter pourront être présents, à condition de ne pas rendre publiques leurs constatations.

Le processus électoral n'a aucune intégrité et n'offre aucune garantie, remarque M. Delgado. Le conseil électoral est coopté par le régime et les médias publics sont employés en faveur du parti au pouvoir, qui utilise à son compte toutes les ressources de l'État.

Certains parlent d’une « stratégie du salami », par laquelle le gouvernement coupe progressivement, de différentes façons, le vote de l’opposition, souligne Rafael Uzcategui. Il a ainsi changé le nom de 900 écoles utilisées comme centres de votation, en plus d’envoyer les électeurs vers de nouveaux centres difficilement accessibles. Ils tentent par tous les moyens possibles de mêler les électeurs, note l’expert.

Le Venezuela fait partie des pays non libres, selon le classement 2024 de l’ONG Freedom House, avec une note de 15 sur 100 en ce qui concerne les droits politiques et les libertés civiles.

Qui sont Edmundo Gonzalez et Maria Corina Machado?

Edmundo Gonzalez, 74 ans, s’est retrouvé sur le devant de la scène par élimination. C'est plutôt Maria Corina Machado, une opposante de longue date, qui aurait dû affronter Nicolas Maduro. L'ex-députée de 56 ans a remporté haut la main les primaires de l’opposition en octobre dernier, mais la Cour suprême a refusé de lever son inéligibilité de 15 ans pour corruption et trahison.

Le Conseil national électoral n’a pas permis à la remplaçante choisie par Mme Machado, Corina Yoris, 80 ans, de s’inscrire. L’opposition s’est donc tournée vers Edmundo Gonzalez Urrutia, un diplomate inconnu du grand public et qui n’était candidat que pour garder une place sur la liste d’opposition.

Edmundo Gonzalez n’est pas un politicien, assure Philip Gunson, analyste pour l’International Crisis Group, basé à Caracas. Si l'opposition gagne, il sera le président, mais c’est sûr que Maria Corina Machado sera très active dans son gouvernement.

Présente sur la scène politique depuis plus de 20 ans, Maria Corina Machado a créé en 2002 une association qui réclamait un référendum pour révoquer le président Hugo Chavez. Elle a été députée de l'État de Miranda de 2010 à 2014, avant d’être destituée.

Au cours des derniers mois, l’opposante a ravivé l’espoir des Vénézuéliens qui n’en avaient plus aucun, rappelle la professeure Dhayana Fernandez.

Les gens se trouvaient dans une situation de désespoir collectif, observe-t-elle. Après le gouvernement failli de Juan Guaido [qui s'était autoproclamé président en janvier 2019 ], on ne voyait plus d’issue. Elle a su faire renaître l’espoir.

Depuis le début de la campagne, Maria Corina Machado sillonne le Venezuela à côté d’Edmundo Gonzalez. Leurs rassemblements soulèvent l’enthousiasme, alors que la foule les accueille à bras ouverts.

Le Centre d'études politiques et gouvernementales de l'Université catholique Andrés Bello (UCAB) prévoit qu’Edmundo González pourrait obtenir 7 millions de voix, tandis que Nicolas Maduro en obtiendrait 4,7 millions.

Cela correspond, en somme, au nombre d'employés de l'État, note Rafael Uzcategui. Par le passé, Maduro a gagné en convaincant les indécis et en divisant l'opposition. Cette fois, cette dernière est demeurée unie.

À quoi s’attendre le 28 juillet?

Tout est possible, croient les analystes.

Nous sommes face à un gouvernement autoritaire qui ne renoncera pas au pouvoir facilement, craint Dhayana Fernandez.

M. Maduro a averti dernièrement qu’il y aurait une guerre civile fratricide et un bain de sang s’il n’était pas élu. Seule une victoire sans équivoque pour son parti garantirait la paix, a-t-il déclaré.

La stratégie des chavistes passe par la peur, remarque Mme Fernandez. Ils disent que l’opposition prépare un coup d’État si elle perd, souligne-t-elle. Ils cherchent à générer l’inquiétude et la confusion.

Certains craignent que, sentant le pouvoir lui échapper, M. Maduro disqualifie Edmundo Gonzalez ou annule simplement à la dernière minute la tenue de l’élection.

C'est un scénario qu’on ne peut pas exclure, mais qui devient de plus en plus compliqué à mettre en œuvre à mesure que la date du scrutin approche, observe Benigno Alarcon-Deza, directeur du Centre d’études politiques et de gouvernement à l’Université catholique Andrés Bello (UCAB) à Caracas. On basculerait alors dans la fraude électorale.

Si le régime a utilisé diverses tactiques contestées au fil des ans, jamais une élection présidentielle n'a été annulée.

Ils sont arrivés à leurs fins juste en utilisant les ressources de l'État, en misant sur la répression, les arrestations, les détentions, la persécution des opposants, les déclarations d’inéligibilité et le monopole de l’accès aux médias, remarque Philip Gunson.

Pour éviter une possible manipulation des résultats, l'opposition appelle les électeurs à rester aux tables de scrutin jusqu'à la fin pour s’assurer que les résultats sont compilés correctement, malgré l’absence de témoins internationaux.

Quel rôle pour les forces armées?

Si l’ampleur de la victoire de l'opposition est aussi importante que l’anticipent les sondages, il sera difficile pour le régime d'invalider les résultats. Acceptera-t-il sa défaite?

L’attitude des forces armées sera la clé. Plusieurs analystes pensent qu’on pourrait se trouver dans une situation semblable à celle du Chili où, en 1988, le général Pinochet a dû accepter sa défaite au référendum qu’il avait lui-même convoqué, sachant que les forces armées ne l’appuieraient pas.

Dans un message publié sur X, en juillet, Edmundo Gonzalez a appelé les militaires à respecter la volonté souveraine du peuple le 28 juillet.

Les hauts gradés ont bénéficié des largesses du régime, mais ce n’est pas le cas des troupes, qui souffrent de la situation économique, comme l’ensemble de la population, souligne Mme Fernandez.

Ce qui est vital, pensent les observateurs, c’est de négocier une sortie acceptable pour le régime, ce que tentent de faire des pays alliés du Venezuela, comme le Brésil et la Colombie, qui proposent notamment de mettre en place des garanties pour assurer Nicolas Maduro et sa garde rapprochée qu’ils ne subiraient pas de poursuites s'ils devaient céder le pouvoir.

Les Vénézuéliens redoutent ce qui pourrait arriver advenant une défaite du régime, mais ils ont encore plus peur d’un autre mandat de Nicolas Maduro, estime M. Gunson. Il y a beaucoup d’espoir et beaucoup de désir de changement, mais aussi beaucoup de craintes, ajoute-t-il.

Les pays de la région surveillent la situation attentivement, eux aussi. Dans un récent sondage, 1,8 million de Vénézuéliens ont déclaré qu'ils quitteraient le pays au cours de la prochaine année si Nicolas Maduro restait au pouvoir.

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