DES CONSTRUCTIONS NEUVES SANS CLIM’, C’EST PAS GAGNé à LA RéUNION !

L’urgence climatique. Le terme revient en boucle dans le discours des autorités publiques pour sommer la population d'agir à son niveau quel que soit le domaine où elle peut améliorer son empreinte carbone. Alors quoi de plus évident qu'une maison ou un immeuble partis pour durer des décennies pour agir dès leur construction. C'est dans cette optique que la norme RTAA DOM a été imaginée depuis 2010. Elle vise à "réduire les consommations énergétiques des bâtiments neufs à usage d'habitation en limitant le recours à des systèmes énergétiques tels que la climatisation". Quinze ans après l'entrée en vigueur de la norme, il n'est pourtant pas rare de voir fleurir des climatiseurs sur des constructions neuves. La réponse nous est donnée par un architecte : particuliers et promoteurs ne prennent aucun risque à ne pas construire selon cette norme environnementale car ils ne seront tout simplement jamais contrôlés.

La « Réglementation thermique acoustique et aération » (RTAA DOM) vous connaissez ? Si vous avez fait construire votre maison ces dernières années, ce sigle a dû vous être présenté par le cabinet d’architecture que vous avez peut-être engagé. A l’inverse, si vous vous êtes contenté d’une petite entreprise de BTP, il y a de grandes chances pour que cette réglementation ne soit jamais arrivée à vos oreilles. Nous avons interrogé un architecte afin de lui demander pour quelle raison nombre de constructions neuves finissent par être coiffées de climatiseurs.

Zinfos : Pourquoi continue-t-on de voir des maisons sortir de terre avec des climatiseurs, la RTAA DOM ne devait-elle pas modifier notre approche dès la conception des bâtis ?

Un architecte : La RTAA DOM, qui fait partie du code de la construction, n’oblige pas à des moyens, ça oblige à des résultats. C’est-à-dire que les constructeurs n’ont pas l’obligation d’utiliser du bois biosourcé par exemple. La RTAA DOM donne comme principe qu’il faut un minimum de confort thermique pour les logements et que ça ne doit pas dépendre que des choix de l’usager lorsqu’il sera dans le logement. C’est sous-entendu qu’il ne faut pas dépendre que de la clim’.

A quel moment La Réunion pourra dire qu’elle a passé le cap des constructions avec énergie passive ?

L’énergie passive, c’est un cran encore au-dessus. Avec la RTAA DOM, on demande déjà aux constructeurs de ne pas trop consommer d’énergie et d’offrir un confort thermique. Donc aujourd’hui la RTAA DOM demande à ce que les constructions soient en ventilation naturelle traversante. Les Réunionnais peuvent les remarquer autour d’eux : les bâtiments en RTAA DOM ce sont les logements neufs qui sont construits en bande assez étroite où vous avez le plus souvent une façade avec des varangues et de l’autre une façade avec des coursives. Il faut donc disposer des fenêtres sur les deux façades pour faire passer de l’air dans le logement. Ensuite il faut que le logement soit suffisamment isolé au niveau des murs et de la toiture. Si on n’isole pas, ça va être un bâtiment qui va absorber la chaleur. Et il faut protéger les ouvertures du soleil pour qu’il n’entre pas directement dans la pièce. Déjà si on a tout ça, on a déjà fait un grand pas. Après on va rajouter des brasseurs d’air. Attention, pas des ventilateurs mais bien des brasseurs d’air !

Après, il y a ce qui n’est pas réglementé mais qui tient du bon sens. Il s’agit du traitement des abords des bâtiments. Je vous donne un exemple : si on est en ventilation naturelle traversante, qu’on ne traite pas les jardins en pied de bâtiment et que ce sont des parkings qui viennent jusqu’au pied du bâtiment, on fera entrer de l’air chaud à l’intérieur des logements donc tout ce qui aura été fait n’aura servi à rien ! Malheureusement, cette partie extérieure n’est pas réglementée parce que la RTAA DOM régit le bâti et non la partie jardin.

La réglementation ne dit pas que la clim’ est interdite mais dit que la clim’ n’est que le dernier recours. Voilà en simplifié mais c’est très technique, il y a par exemple un pourcentage de porosité de façade, d’épaisseur des isolants, c’est un cahier des charges très technique la RTAA DOM.

Une fois la construction réalisée, qui contrôle ?

Les gens pensent souvent que c’est la mairie mais la mairie n’est compétente que pour le contrôle de l’urbanisme à travers son PLU mais pas pour le code de la construction dont fait partie la RTAA DOM.

Ces contrôles sont-ils réalisés ?

Il y a du contrôle sur du logement collectif, chez les promoteurs, les SEM, les entreprises privées. Ils s’adressent donc à des maîtres d’ouvrage qui sont professionnels et pas à monsieur et madame Tout-le-Monde. Chaque année il y a entre 15 et 20 constructions qui sont contrôlées par la DEAL.

On est clairement sur de l’échantillonnage !

C’est de l’échantillonnage en effet. Le problème pour la DEAL c’est que, quand ils contrôlent, ils mettent en demeure par exemple la SHLMR, la SIDR ou CBO de refaire ce qui ne va pas, mais mettre en demeure monsieur ou madame Payet de faire respecter la RTAA DOM pour sa construction, c’est autre chose…

La DEAL, quand elle fait la démarche, elle ne fait pas machine arrière, ça va directement chez le juge. Donc aujourd’hui il y a, je dirais, un vide de moyens pour obliger les petites entreprises qui vivent du monde de la villa, à contrôler ce qu’elles font. La seule chose qu’on puisse faire, nous, en tant qu’architectes, c’est qu’on alerte les maitres d’ouvrage en leur disant : « attention, la RTAA DOM n’est pas une option, ça fait partie du code de la construction ! ».

Ces petites entreprises de BTP prennent-elles en compte ces normes environnementales ?

Je suis sceptique sur ceux qui font vraiment que de la villa individuelle. Il n’y en a pas beaucoup qui sont réglo sur la RTAA DOM. Il y en a qui ont compris le principe général.

Qu’est-ce qui freine l’application des règles de la RTAA ?

Il faut mettre les moyens. Ça représente un surcoût pour les particuliers de demander à un professionnel de vérifier que son artisan de BTP respecte la RTAA DOM, parce que ça ne se voit pas à l’oeil nu. Sur les villas, comme les professionnels ne sont pas contrôlés, c’est très compliqué de faire respecter cette réglementation. Est-ce que l’entreprise de BTP a mis le pourcentage d’isolants qu’il fallait ? Est-ce qu’ils ont mis l’isolant à la couleur adaptée à la toiture parce que selon la couleur, ça fera chauffer plus la tôle. Bref, comme c’est très technique, je ne mets pas ma main à couper que c’est respecté comme il faut. L’entrepreneur de BTP, il doit chercher ses fournisseurs, gérer ses ouvriers donc lorsqu’il arrive déjà à faire tout ça il est content de mener à bien le chantier alors s’il faut en plus se mettre à jour sur la dernière réglementation… Les entreprises de BTP d’entrée de gamme ne sont pas celles qui s’y connaissent. Pourtant, ce n’est pas si compliqué de faire en RTAA DOM, c’est beaucoup plus compliqué en collectif, ça a changé le visage des bâtiments et les habitudes des architectes. Et il faut se dire que la RTAA DOM c’est vraiment le basique, on pourrait faire beaucoup mieux !

Voilà comment on en arrive à toujours voir des maisons ou des appartements qui finissent par être équipés en climatiseurs ?

Les usagers ne sont pas tous prêts à tester si, sans climatiseurs, ils vont être dans un confort thermique. Ils sont déjà habitués à la clim’ là où ils étaient donc ils arrivent avec cette exigence de clim’ quand ils envisagent leur projet de maison.

Pourtant, même si on ne peut pas comparer la ventilation traversante avec la clim », on peut vivre avec la ventilation traversante 95% du temps à La Réunion. Il restera 5% du temps où on sera en inconfort, on aura vraiment très chaud. Peut-être que ces 5%, il faut savoir les accepter.

Pourquoi il n’y a pas de contrôles sur les constructions de monsieur et madame Tout-le-Monde ?

En fait c’est un peu le revers de la médaille. Comme l’architecte n’est pas obligatoire pour les constructions en-dessous de 150 m2, eh bien il n’y a pas de contrôle ! Par contre, à partir du moment où il y a l’architecte, il y a des règles de la construction, il y a les assurances qui entrent en jeu et donc des obligations de contrôle.

Sur quel document un particulier ou un promoteur déclare que sa construction a bien respecté les normes de la RTAA ?

La loi estime que ça va de soi. Sur la dernière page du Cerfa de sa demande d’autorisation de permis de construire, juste en-dessous de l’endroit où le propriétaire met son nom, la date, déclare sur l’honneur et signe, il est marqué en tout petit « je m’engage à respecter le code de la construction ».

En métropole çà va un petit peu plus loin que ça puisqu’il faut un certificat de bureau d’études. Dans les DOM il n’y a pas cette exigence. Ça, ça serait un bon début. Ça serait un bon moyen de contrôler et d’accompagner les usagers.

En 2024, on est donc incapable de dire combien de constructions neuves sont sorties de terre en respectant les normes de la RTAA DOM de 2010 révisée en 2016 ?

En effet car il n’y a pas de contrôles.

C’est dingue !

C’est dingue mais le pouvoir est entre les mains des maîtres d’ouvrage, c’est-à-dire du propriétaire qui commande sa maison. Il n’y a que lui qui peut exiger à son entreprise de BTP qu’elle doit respecter la RTAA. Mais la plupart du temps, le propriétaire a d’autres priorités à traiter : il essaie d’obtenir son prêt bancaire, trouver une entreprise qui entre dans son budget, bref il ne sait plus où donner de la tête ! Donc voilà, la seule piste pour moi qui serait intéressante, même si ça retomberait sur le propriétaire, serait d’intégrer dans le permis de construire la même exigence qu’il y a en métropole c’est-à-dire d’avoir le justificatif comme quoi le projet respecte la RTAA DOM au moment du permis. Ça obligerait d’avoir quelqu’un d’extérieur qui contrôlerait le dossier. Donc ça serait un surcoût pour le maître d’ouvrage.

 

Contactée, la préfecture nous livre la réponse de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) à notre question portant sur l’inexistence des contrôles pour les maisons de particuliers :

DEAL : « C’est en premier lieu au maître d’ouvrage d’une opération qu’il revient de s’assurer que son projet respecte la RTAA-DOM et de se faire accompagner par les bureaux d’études compétents en la matière.

La DEAL assure ensuite la mission de contrôle des règles de la construction qui consiste à vérifier que la construction réalisée respecte les règles liées à la sécurité, à l’incendie, à l’accessibilité et à la RTAA-DOM et, le cas échéant, en cas de non-respect repéré d’une ou plusieurs de ces règlementations; d’en rendre compte au juge.

En 2024, ce sont 12 opérations de logements qui vont être contrôlées par les 2 contrôleurs assermentés de la DEAL. »

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