Des hommes ayant des comportements violents patientent encore plusieurs mois sur des listes d’attente avant de pouvoir intégrer un groupe de thérapie. Une situation jugée inquiétante par des intervenants, et qui perdure malgré les importants investissements gouvernementaux en matière de violence conjugale en raison de la hausse des demandes d’aide.
« La seule chose qui m’empêche de dormir, c’est la liste d’attente », glisse Robert Cazelais, directeur général de l’organisme montréalais Harmonie conjugale (autrefois Pro-Gam), qui vient en aide aux hommes ayant des comportements violents. « Quand des gens nous appellent, on est parfois obligés de leur dire : pas tout de suite. » Actuellement, une quarantaine d’hommes sont sur la liste d’attente de l’organisme.
Et pourtant, lorsqu’un homme appelle ou se présente dans un organisme, c’est dès cet instant qu’il faut l’aider, relève Geneviève Landry, présidente d’À coeur d’homme, une association qui regroupe 31 organismes québécois venant en aide aux hommes aux prises avec des comportements violents dans un contexte conjugal et familial.
« Lorsqu’un homme demande de l’aide en violence conjugale, habituellement, c’est qu’il y a une crise qui vient de se passer, donc c’est là qu’on devrait intervenir », explique l’intervenante, qui dirige également l’organisme Entraide pour hommes situé à Longueuil et à Beloeil. Avant d’intégrer un groupe de thérapie — la méthode jugée la plus efficace pour traiter les auteurs de violence conjugale et familiale —, un homme doit patienter environ 8 mois sur la liste d’attente à Longueuil.
À Option, à Montréal — où 80 % de la clientèle est judiciarisée —, l’attente est d’environ 4 mois. « C’est beaucoup, s’inquiète Clément Guèvremont, thérapeute conjugal et familial et fondateur de l’organisme. Dans le domaine de l’aide contrainte [une ordonnance de la cour oblige de nombreux hommes à suivre une thérapie], il n’y a pas de risque zéro. »
Les hommes qui présentent des facteurs de risque homicidaire ou suicidaire ne sont toutefois pas laissés à eux-mêmes, rassure-t-il. Une rencontre d’évaluation se tient rapidement après la première prise de contact. « Si un homme présente un haut risque de passage à l’acte, on continue de le voir en suivi individuel en attendant une place en groupe. On ne le laisse pas tomber. »
Sur les 12 clients qui se trouvent présentement sur la liste d’attente d’Option (certains y sont depuis la fin octobre), 6 reçoivent un suivi individuel. « Notre priorité, c’est de prévenir les féminicides », mentionne le thérapeute.
À Option, comme à Harmonie conjugale et dans bien d’autres organismes de la province, le nombre de groupes de thérapie a pourtant augmenté depuis le début de la pandémie. Des investissements gouvernementaux de 15 millions de dollars en 2020-2021, 17,5 millions de dollars en 2021-2022 et de 23 millions $ en 2022-2023 pour soutenir les organismes venant en aide aux conjoints violents ont permis d’embaucher de nouveaux intervenants. « Depuis deux ans, on a doublé nos équipes d’intervention au Québec », indique Geneviève Landry.
Mais la demande d’aide a suivi la même courbe, particulièrement dans les centres urbains. « Au bout du compte, on se ramasse avec le même nombre d’hommes en attente, dit-elle. Par contre, on voit beaucoup plus d’hommes par année. » À Entraide pour hommes, par exemple, le nombre de groupes de thérapie est ainsi passé de 8 à 14 par semaine depuis le début de la pandémie.
Plusieurs facteurs expliquent cette hausse marquée. Il y a eu, bien sûr, la pandémie, qui a causé une augmentation de la détresse, et aussi la société qui, de manière générale, est moins tolérante à l’égard de la violence conjugale. Mais le succès de la campagne publicitaire « La violence conjugale, ça s’arrête maintenant », lancée il y a deux ans par le gouvernement du Québec, y serait aussi pour beaucoup.
Cette campagne s’adressait directement aux auteurs de violence conjugale pour les inciter à aller chercher de l’aide. « Pour la première fois, on s’adressait aux gars et ils se sont sentis plus interpellés », analyse Geneviève Landry. « La bonne nouvelle, c’est que la sensibilisation amène les hommes à consulter beaucoup plus. Mais on n’arrive pas à répondre à tous les besoins. »
Or dans les organismes venant en aide aux hommes ayant des comportements violents comme ailleurs, la pénurie de main-d’oeuvre frappe durement. « On serait capables [financièrement] d’embaucher deux ou trois thérapeutes de plus » et d’ouvrir plus de groupes de thérapie, analyse Clément Guèvremont d’Option.
Une situation d’autant plus crève-coeur que les organismes, qui ont oeuvré avec des budgets restreints pendant des années, ont enfin des moyens financiers. « Avant, pendant 35 ans, on roulait avec le minimum [avant que le gouvernement hausse les subventions], on faisait ce qu’on pouvait, résume le thérapeute. Maintenant [on a de l’argent], mais [le défi c’est] de trouver le personnel et de réussir à le garder. »
Besoin d’aide ? Les hommes ayant des comportements violents peuvent contacter le réseau à cœur d’homme, qui soutient la prévention des violences conjugales et familiales, au 1 877 660-7799.
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