​JE NE ME SENS PAS CONCERNéE PAR LE DéBAT DE LA LANGUE FRANçAISE AU QUéBEC: VOICI POURQUOI

Cet article d’opinion fait partie d'une série de Narcity. Les opinions exprimées sont celles de l'auteur ou l'autrice et ne reflètent pas nécessairement la position de Narcity Media sur le sujet.

Agacée derrière mon volant, essayant d’esquiver mon énième nid de poule sur la rue Notre-Dame à Montréal, j’écoutais une ligne ouverte d’une station de radio très écoutée partout, ici et en région.

Le débat sur la langue française était encore au cœur de discours enflammés d’un auditoire outré et de commentateurs.trices épuisé.e.s de se répéter que le français est en déclin et que cela ne semble pas préoccuper les plus jeunes. L’animatrice posait donc la question : « pourquoi les jeunes âgés entre 18 à 34 ans ne se sentent-ils pas concernés par cet enjeu si important pour le Québec ? »

Durant les quelques secondes qui ont suivi, j’ai tellement roulé des yeux vers le ciel que j’en ai eu la vue troublée. Je me laissais deux options : celle de reprendre mes esprits pour éviter le centième cône orange, ou de stagner à ce poste avec cette fanfare radiophonique polarisante de « moé dans mon temps » et de « vous dire à quel point c’est insultant dese faire servir en français à Mourrréééallll »... À cet instant, j’ai ressenti ce qu’une majorité des millénariaux et des personnes de la génération Z éprouvent, soit le syndrome de l’écœurantite aiguë.

Et soudainement, à une lumière rouge, j’ai opté pour mon balado préféré. La voix d’Oprah Winfrey est venue caresser mes oreilles.« Welcome to SuperSoul Conversations, your podcast…» et pouf, comme par magie, ma course de Mario Kart dans les rues de Mourrrréééalllll est devenue plus détendue.

Pourtant, je me dois de faire cette confession : je n’ai pas cessé de repenser au débat. Car, oui, je suis une réelle amoureuse de la langue française, mais je ne me sens pourtant pas concernée par ces conversations polarisantes tout comme la majorité des 18 à 34 ans à Montréal. Je m’explique.

Un combat typiquement baby-boomers

Comme immigrante haïtienne, je ne félicite qu’un seul héritage du colonialisme de mon pays d’origine - force est d’admettre - la magnifique langue de Molière.

Je suis arrivée ici à l’âge de deux ans et j’ai étudié dans les établissements francophones. Je travaille en français. Je lis et écris en français. Bref, le français est ma langue de choix et si je le pouvais, je ne me gênerais pas de french kiss le français, tellement je l’aime.

Et je le dois non seulement à mes parents, mais entre autres au gouvernement du grand René Lévesque et au ministre Camille Laurin, père de la Charte de la langue française et de la loi 101. Petit rappel de ton cours d’histoire :

La loi 101 fait du français la langue officielle du gouvernement du Québec et l'enseignement en français devient obligatoire pour les immigrant.e.s. Comme Sugar Sammy, je suis moi aussi une enfant de la loi 101.

Grâce à la fougue des jeunes politiciens des années 70, mes enfants parleront français, mes petits-enfants aussi et mes arrière-petits-enfants également. C’est le cas pour tout immigrant.e qui décide de s’installer dans la belle province pour y faire leur vie. Et ajoute à ça l’adoption de la loi 96 par le gouvernement du premier ministre François Legault. Depuis mai 2023, cette mesure renforce la protection du français en ajoutant l’obligation des services d’administration publics à être donnés uniquement en français et l’inauguration du nouveau portail de francisation des personnes immigrantes.

C’est pourquoi, comme femme issue de la génération Y, je m’interroge : pourquoi ressasser encore et encore ce même débat qu’entretiennent les baby-boomers depuis la Révolution tranquille qui tend vers un combat archaïque? Pourquoi ne pas concentrer l’énergie collective à bien l’enseigner plutôt que d’en voir un constant danger d’extinction?

Ne sommes-nous pas sorti.e.s du carcan des blessures de l’ostracisation des francophones comme le décrit bien Speak White de la dramaturge Michèle Lalonde? Si oui, possible que l’on me l’explique?

Une panique non fondée?

Premièrement, selon le recensement de la population de 2021 par Statistique Canada, 93,7 % de la population québécoise déclarait pouvoir soutenir une conversation en français. C’est énorme!

Les défenseur.dresse.s puristes réfuteront en me mettant dans la gueule que le français a reculé de 94,5% en 2016 à 93,7% en 2021. C’est tout de même léger comme baisse, non? Je trouve que le terme « recul » est un peu fort considérant que l’immigration économique et humanitaire doit apprendre la langue et que l’Institut de la statistique du Québec démontre qu’il y a une baisse de natalité chez les Québécois.e.s unilingues francophones. À mon avis, il est là le recul…pas au niveau de la langue française. Faites des bébés et on se reparle dans cinq ans, OK?

Deuxièmement, ces mêmes statistiques démontrent qu’en 2021, 74,8% de répondant.e.s définissent le français comme langue maternelle mais 82,2% des Québécois.e.s affirment que le français est leur première langue officielle parlée. Selon moi, cela démontre que la loi 101 est une stratégie qui fonctionne bien auprès de l’immigration : même si le français n’est pas la langue maternelle, il reste la langue d’usage pour la grande majorité de la population immigrante.

Et troisièmement, avez-vous vu passer dans les nouvelles l’annonce de Marlene Jennings, ex-administratrice de la Commission scolaire English-Montréal sur la fermeture des écoles anglophones? La raison? Plus assez d’inscriptions dans les classes!

Les chiffres sont clairs : des années 50 à aujourd’hui, le poids démographique d’Anglo-Québécois qui ne parlent qu’anglais a nettement diminué. Selon la revue des Recherches sociographiques parue en 2014, il est clair que les anglophones forment un groupe en déclin au Québec, même s’il reste un groupe important.

Alors pour toutes ces raisons, je suis convaincue que les jeunes Québécois.e.s n’ont pas idée de ce qu’ont vécu leurs ancêtres, soit l’oppression linguistique au Québec. La nouvelle génération n’éprouve donc plus cette peur, ni l’urgence d’éteindre les incendies provoqués par « l’invasion » anglophone.

L’attrait du bilinguisme via les réseaux sociaux

Si le déclin du français en 2021 a fait couler beaucoup d’encre, les sociologues se penchent sur la recrudescence du bilinguisme, particulièrement chez les 15-29 ans. Statistique Québec démontre que « le taux de bilinguisme français-anglais dans la population est passé de 41 % à 46 % en 2006 et 2021. Le constat est similaire chez les 15-29 ans qui affichent toutefois des taux plus élevés que ceux observés dans l'ensemble de la population. Ces taux sont passés de 53 % en 2006 à 67 % en 2021. »

Les chiffres parlent et les gen Z aussi…dans les deux langues! À mon avis, s’exprimer dans plus d’une langue, c’est une richesse plutôt qu’une menace, non?

On n’a qu’à penser à Charlotte Cardin qui affiche fièrement ses origines québécoises, mais dont les chansons sont majoritairement interprétées dans la langue de Shakespeare. Et ce qui est beau, c’est qu’on ne lui en tient pas rigueur. Au contraire, on l’adore!

D’ailleurs, avec les nouvelles technologies, le dictionnaire « numérique » en français est très en retard, tout comme le virage des médias traditionnels vers les plateformes en ligne. L’américanisation des réseaux sociaux, des jeux vidéo et des portails comme Amazon ou Shopify forcent les utilisateurs de 18-34 ans à s’adapter aux divers termes en anglais qui en découlent.

Également, comme partout sur cette planète, l’influence et le pouvoir de la culture américaine est omniprésente. Les géants comme Apple, Netflix ou Disney Plus produisent des contenus anglophones très attrayants pour la gen Z, qui boude de plus en plus la télévision traditionnelle.

Et que dire de ces artistes et ces créateur.trice.s ouvert.e.s. sur l’ouverture du monde et pour qui la maîtrise de plusieurs langues est un atout : opportunités professionnelles, études à l’international, découverte d’une autre culture…

Il y a tant d’exemples de ces Québécois.e.s qui s’illustrent à travers le monde, qui affichent fièrement leur identité francophone, mais, pour qui je suis certaine, sont heureux de manier plusieurs langues, comme la danseuse Énola Bédard, l'ingénieure spatiale Farah Alibay, le réalisateur Xavier Dolan ou encore l’acteur Théodore Pellerin.

Notons que le bilinguisme ne veut pas dire anti-français, il est simplement indicatif de l’ouverture vers de nouveaux horizons.

Alors oui, dans cette optique, le bilinguisme est plus qu’attrayant pour les nouvelles générations.

Arrêtons les discours alarmistes!

À mon avis, il faut arrêter les discours alarmistes qui font de l’ombre à cette culture si riche qui manque cruellement d’amour dans les écoles francophones. Malheureusement, le débat de la langue française est une tactique maladroite des politiciens pour échauffer l’opinion publique et créer des tempêtes dans un verre d’eau...

Je souhaite plutôt que toutes les générations concentrent leur énergie à redonner au français ses lettres de noblesse, tant à l'écrit qu'à l’oral.

Haussons les standards de sa transmission plutôt que de se rabaisser à crier qu’on n’en fait pas assez. À travers la musique, le théâtre, le cinéma, l’humour ou encore la télévision, le français est sexy et cool. Je pense aux proses de MC Solaar, aux textes de Charles Aznavour ou de Gilles Vigneault, aux romans d’Arlette Cousture ou de Gabrielle Roy, aux chansons de Beau Dommage et de Ginette Reno qui rassemblent, plutôt que de diviser, comme le fait ce débat devenu désuet.

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