Notre lenteur à nous attaquer à la crise climatique est en train de miner nos chances de limiter le réchauffement à un seuil viable, mais aussi notre capacité à nous adapter à un climat qui a déjà beaucoup changé, prévient le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans un nouveau rapport. Cette synthèse souligne aussi que les actions entreprises durant cette décennie vont influer sur les prochains millénaires.
La fenêtre qui nous permettrait de contenir les dérèglements climatiques au seuil jugé viable de +1,5 °C « se referme rapidement », peut-on lire dans la synthèse publiée lundi au terme d’intenses négociations des 195 pays membres du GIEC. « Les choix et les actions mises en oeuvre au cours de la décennie vont avoir des impacts maintenant et pour des milliers d’années », soulignent les auteurs du document, qui est le premier rapport complet du GIEC depuis la signature de l’Accord de Paris.
Les chiffres compilés par les scientifiques donnent d’ailleurs la mesure du défi. Les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre (GES) sont aujourd’hui 50 % plus élevées qu’il y a 30 ans, et des 2400 milliards de tonnes imputables historiquement à l’activité humaine, plus de 40 % des émissions ont été produites au cours des trois dernières décennies.
Résultat : la concentration de CO2 dans l’atmosphère bat des records année après année, et le réchauffement mondial risque fort d’atteindre « à court terme » +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Le rapport évoque la possibilité que ce scénario se concrétise d’ici 2030 à 2035. Dans ce contexte, « toutes les régions du monde devraient faire face à une hausse des menaces climatiques » pour les humains et les écosystèmes qui rendent la vie sur Terre possible.
La liste de ces menaces comprend notamment la hausse des vagues de chaleur meurtrières, la fonte des glaciers, l’acidification et la hausse du niveau des océans, la réduction de l’accès à l’eau, les inondations, la propagation de maladies, le recul de la production alimentaire et la détresse psychologique. Sans compter les dizaines de millions de réfugiés climatiques prévus au cours des prochaines décennies.
Tous ces risques vont s’accentuer si on ne parvient pas à limiter la hausse de la température moyenne à 1,5 °C, ce qui est l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris. « Avec davantage de réchauffement, le changement climatique deviendra de plus en plus complexe et difficile à gérer », prévoit le GIEC, en insistant sur la possibilité de voir apparaître des effets en cascade, notamment dans le domaine de la production alimentaire.
Le dérèglement climatique accentue aussi « les risques d’extinction d’espèces » et « la perte irréversible de biodiversité ». Et au-delà d’une hausse de 2 °C, les glaces du Groenland et une partie de celles de l’Antarctique seront perdues, ce qui devrait provoquer une hausse marquée du niveau des océans. Les coraux d’eau chaude, qui rassemblent près de 30 % des espèces marines, seront condamnés. Or, précise le GIEC, les engagements pris par les États risquent de nous conduire vers une hausse qui pourrait atteindre 3,2 °C au cours des prochaines décennies.
Pour espérer changer de trajectoire, les scientifiques affirment que tout doit être mis en oeuvre pour ne pas dépasser 1,5 °C. Pour cela, nous devons diminuer les émissions mondiales « dès aujourd’hui » et les réduire « de près de 50 % d’ici à 2030 » par rapport au niveau de 2019.
L’humanité doit donc respecter ce qui lui reste de « budget carbone », que nous brûlons très rapidement en raison de notre dépendance aux énergies fossiles. Le rapport précise qu’en l’absence de mesures immédiates et ambitieuses de réduction des émissions de GES, le budget qui nous donne 50 % de chances de ne pas dépasser la limite de 1,5 °C sera pour ainsi dire épuisé d’ici 2030.
Preuve du poids des énergies fossiles dans le dérèglement du climat, les émissions liées aux projets existants ou en préparation pourraient suffire à elles seules à atteindre un réchauffement de 2 °C.
Malgré l’urgence précisée un peu plus à chaque rapport du GIEC, les fonds publics et privés destinés aux énergies fossiles sont toujours plus élevés que ceux prévus pour la lutte contre la crise climatique et l’adaptation à ses impacts. Pour l’année 2022, l’Agence internationale de l’énergie a évalué que les subventions aux ressources fossiles ont dépassé les 1000 milliards de dollars.
Le document synthèse publié lundi présente donc plusieurs mesures à mettre en oeuvre rapidement pour s’orienter vers l’objectif global de la carboneutralité d’ici 2050. La transformation du secteur énergétique est évidemment une priorité pour se détourner du pétrole, du gaz naturel et du charbon, qui comptent toujours pour plus de 80 % du mix énergétique mondial, et déployer les énergies renouvelables.
« De 2010 à 2019, les coûts ont diminué durablement pour l’énergie solaire (85 %), éolienne (55 %) et les batteries au lithium (85 %) », rappelle pourtant la synthèse. Outre l’effet sur le climat, des efforts accélérés et soutenus « apporteraient de nombreux avantages connexes, en particulier pour la qualité de l’air et la santé », écrivent les scientifiques, qui ne cachent pas le prix à payer : « À court terme, les actions impliquent des investissements de départ élevés et des changements potentiellement radicaux. »
Le rapport souligne aussi le besoin de repenser les villes pour miser notamment sur la densification, le verdissement, mais aussi le développement des transports collectifs et actifs. La réduction du gaspillage alimentaire est également nécessaire, de même que la transformation de notre alimentation et le virage vers une agriculture « durable ».
Les scientifiques plaident aussi pour la protection de 30 % à 50 % des écosystèmes naturels de la planète et pour une stratégie internationale pour freiner la déforestation, en particulier dans les forêts tropicales, importants puits de carbone.
Mais le rehaussement de l’ambition en matière de réduction des émissions de GES et de protection des puits naturels de carbone ne suffira pas, souligne le rapport du GIEC. Dans un contexte où jusqu’à 3,6 milliards d’êtres humains vivent dans une région « hautement vulnérable » aux impacts du réchauffement, il faut impérativement accélérer la mise en oeuvre de mesures d’adaptation. Celles-ci ne sont tout simplement pas à la hauteur de ce qui est nécessaire pour nous permettre de limiter les impacts de la hausse des températures, constatent les scientifiques.
« Les flux financiers pour l’adaptation sont insuffisants », rappelle le rapport, ajoutant que les retards les plus importants touchent particulièrement les pays en développement, qui sont par ailleurs bien souvent aux premières loges des impacts de la crise.
Mais le pire est à venir. « Avec un réchauffement planétaire croissant, les pertes et les dommages vont croître, et certains systèmes naturels et humains vont atteindre la limite de leur capacité d’adaptation. » Au-delà d’un réchauffement de 1,5 °C, on prévoit notamment des problèmes pour l’approvisionnement en eau potable dans plusieurs régions du monde, mais aussi pour différents écosystèmes.
Selon Greenpeace, ce nouveau rapport doit servir d’avertissement aux gouvernements — comme celui du Canada — qui continuent d’autoriser de nouveaux projets d’exploitation et d’exportation de pétrole et de gaz naturel.
« Le temps est venu qu’ils commencent à tenir les compagnies pour responsables et à les faire payer pour les pertes et dommages qu’elles causent. Les solutions sont nombreuses pour agir contre la crise climatique, et l’heure est au déploiement sans ménagement. Ce rapport est un véritable plan d’action pour l’humanité et l’une des dernières portes de sortie qui s’offrent à nous pour construire un monde plus juste et plus sécuritaire », fait valoir le responsable de sa campagne climat et énergie, Patrick Bonin.
« Ce rapport souligne l’urgence de prendre des mesures plus ambitieuses. Si nous agissons maintenant, nous pouvons nous assurer un avenir plus durable », a résumé lundi le président du GIEC, Hoesung Lee.
Il a, par la même occasion, rappelé que, près de huit ans après la signature de l’Accord de Paris sur le climat, les émissions mondiales sont toujours en croissance et que le réchauffement planétaire a déjà dépassé 1,1 °C. Cette hausse des températures mondiales a déjà provoqué « des impacts de plus en plus dangereux dans toutes les régions du monde », dont des événements climatiques extrêmes meurtriers.
Et puisque les citoyens les plus démunis de la planète sont aussi ceux qui subissent le plus les impacts de la crise du climat, il devient crucial de parler de « justice climatique », selon Aditi Mukherji, l’un des 93 auteurs du rapport synthèse.
Ce document est notamment utilisé comme référence scientifique dans le cadre des négociations climatiques de l’ONU. La prochaine conférence à ce sujet, la COP28, sera présidée par le sultan Ahmed al-Jaber, qui est aussi le p.-d.g. de l’Abu Dhabi National Oil Company, l’une des plus importantes entreprises pétrolières du monde.
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