LE NOMBRE DE CHIRURGIES FAITES AU PRIVé EXPLOSE EN OUTAOUAIS

En deux ans, le nombre de chirurgies réalisées en centres médicaux spécialisés (CMS) en Outaouais a augmenté de 14 250 %, révèle une notice statistique de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). L’organisation dénonce une « sous-traitance massive » des chirurgies vers le secteur privé.

Leur nombre est passé de 46, en 2020-2021, à 6601, en  2022-2023, selon des données obtenues par l’IRIS auprès du ministère de la Santé et des Services sociaux.

En Outaouais, la proportion de chirurgies réalisées dans le privé par rapport au total des chirurgies est passée de 0,5 % à 49 % en deux ans, indique la notice de l’organisme spécialisé dans l’analyse des politiques publiques québécoises.

Il y a vraiment une privatisation beaucoup plus massive et beaucoup plus rapide que dans n'importe quelle autre région du Québec, note la chercheuse à l’IRIS, Anne Plourde.

Elle se surprend de la situation, considérant que la région n’est pas populeuse.

Une vampirisation des ressources, selon l’IRIS

La chercheuse Anne Plourde observe une vampirisation des ressources du public, puisque le secteur privé vient puiser son personnel dans le même bassin de main-d’œuvre que les hôpitaux publics, explique-t-elle.

Mme Plourde mentionne que le nombre de chirurgies réalisées dans le secteur public a diminué de 24 % en Outaouais, alors qu’il a augmenté de 4 % dans le reste du Québec.

Bien que l’exode du personnel vers l’Ontario soit connu dans la région, la baisse du nombre d’opérations chirurgicales au public est directement liée à la stratégie de privatisation massive [...] retenue par le CISSS de la région, indique la notice statistique de l’IRIS.

En plus de dénoncer les coûts plus élevés des interventions au privé, l’IRIS indique que les cas les plus lourds ne pourront pas nécessairement être traités dans les CMS.

Un CMS est un organisme ayant conclu une entente avec un établissement public de santé, tel qu’un CISSS ou un hôpital. Les CMS offrent des services de santé, comme des chirurgies, qui sont directement payés par la province. Il en existe actuellement quatre en Outaouais.

Les cliniques privées ne vont faire que les chirurgies les plus rentables et donc ne vont faire que les chirurgies les plus simples, les plus rapides. [...] Les chirurgies qu'on fait au public, ce sont des chirurgies plus complexes, auprès de patients plus vulnérables, affirme Anne Plourde.

Il est à noter que le nombre de chirurgies totales réalisées en Outaouais est à son niveau le plus haut, depuis 2020, selon le Tableau de bord de la performance du réseau de la santé et des services sociaux.

L’IRIS attribue cela notamment à une augmentation de 147 % du nombre de chirurgies en ophtalmologie, qui ont en très grande majorité [été] réalisées en cliniques privées dans la région.

Le privé a ses avantages, croit une ophtalmologiste

Créés en 2022, les CMS ont permis de prendre ne charge des patients qui attendaient d'être operés et de rattrapper le retard accusé pendant la pandemie. C'est d'ailleurs ce qui explique en partie l'augmentation du nombre de chirurgies faites au privé actuellement.

La cheffe de service d’ophtalmologie de l’Hôpital de Gatineau, Stéphanie Chan, croit de son côté que le transfert de chirurgies vers le privé a été un gros plus pour sa spécialité.

Pendant la pandémie, notre liste d'attente a explosé de deux ans facilement parce qu'on n’avait juste pas de temps opératoire, note Stéphanie Chan.

Même son de cloche pour la directrice des services professionnels et de la pertinence clinique au CISSS de l'Outaouais, Geneviève Gagnon, qui explique que les blocs opératoires de la région ont perdu beaucoup de personnels depuis la pandémie.

Beaucoup d'infirmières ont délaissé les blocs opératoires après la vague de délestages de la pandémie pour des postes en Ontario ou des postes pour lesquels il y a moins de pression au travail, ajoute-t-elle.

Il y a quelques années, la très grande majorité des chirurgies en ophtalmologie de l’hôpital ont été transférées vers le Complexe médical spécialité 819, explique-t-elle.

Un des moyens mis en place pour augmenter l'accès aux chirurgies pour les patients, c'est de créer une extension de notre bloc opératoire au sein des cliniques privées de la région qui ont un [équipement] de bloc opératoire pour y faire des chirurgies qu'on fait normalement à l'hôpital, confie Mme Gagnon.

Depuis cette entente avec le CMS, nos listes d'attente sont d’à peu près 6 mois au maximum, affirme la médecin.

Elle indique que les chirurgiens travaillant en ophtalmologie au Complexe médical spécialité 819 ont le même salaire qu’au public.

On doit quand même faire nos responsabilités à l'hôpital comme des gardes, dit-elle.

Le personnel a pour la majorité été recruté d'un hôpital à Ottawa, puis d'autres cliniques spécialisées [donc] pas nécessairement en ophtalmologie ou de blocs opératoires [de l’Hôpital de Gatineau, selon la médecin.

Elle croit que les CMS sont appropriés pour les chirurgies en ophtalmologie, pour lesquelles le volume de patients est beaucoup plus important que pour d’autres spécialités.

Tout le monde fait des cataractes à un moment donné dans leur vie, donc on a besoin [de faire du volume] pour pouvoir desservir la population, estime Stéphanie Chan.

Dans une réponse écrite transmise à Radio-Canada, le cabinet du ministre de la Santé Christian Dubé confie que le nombre de chirurgies réalisées annuellement en Outaouais a augmenté de près de 50 %, alors que les chirurgies en attente depuis plus d'un an ont diminué de 45 % grâce aux CMS.

Derrière ces chiffres se trouvent des patients, et c'est pour eux que l'on travaille. Qu’est-ce que les Québécois veulent? Avoir un meilleur accès aux soins, c’est ça, la priorité, peut-on également lire.

Pour Geneviève Gagnon, l'entente avec les CMS permet de diriger des patients qui attendraient très longtemps sur la liste d'attente des hôpitaux vers des cliniques déjà équipées. Elle justifie par ailleurs l'explosion du nombre de chirurgies effectuées dans les CMS en Outaouais par le fait qu'il fallait créer de l'accès pour les patients de la région.

L'Outaouais, double perdante?

Toutes ces données ne surprennent pas Action santé Outaouais.

Nous avons un exode du public vers le privé. Puis, il y a un transfert des ressources humaines de l’Outaouais vers l’Ontario. Nous sommes doublement perdants. Il faudra trouver une solution alternative entre le public et le privé, affirme le président du conseil d’administration, Denis Marcheterre.

Ce qui est inquiétant en Outaouais, c’est que j’ai l’impression que nous assistons à un désengagement discret de l'État. Comme citoyens, nous avons le droit de nous poser des questions.

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