NOMBRE INQUIéTANT DE FéMINICIDES EN 2024: LE QUéBEC MANQUE DE RESSOURCES ET VOICI POURQUOI

Chloé Lauzon-Rivard, Narjess Ben Yedder, Lorraine Marsolais, Hayette Bouguelllid, Louise Houde, Josianne Faucher et Marie-Claude Raymond : ce sont les sept victimes de féminicides au Québec depuis le 5 janvier 2024 en contexte de violence conjugale, au moment d'écrire ces lignes. Ce bilan est le même que pour l'ensemble de l'année dernière, ce qui préoccupe l'organisme SOS violence conjugale. Surtout car pendant ce temps, des victimes qui souhaitent fuir leur partenaire violent sont très souvent laissées pour compte, faute de places dans les maisons d'hébergement.

En l'espace de seulement quatre mois, il y a eu autant de meurtres conjugaux présumés que pour toute l’année 2023. Cet enjeu alarmant survient au moment où des organismes ne parviennent pas à héberger de nombreuses victimes lorsqu'elles sont prêtes à faire « le gros move », comme le souligne Claudine Thibaudeau, responsable du soutien clinique et de la formation chez SOS violence conjugale. L'impossibilité de trouver une place pour une personne en détresse est la dure réalité à laquelle est confrontée l'organisme, et ce, plusieurs fois par jour.

« Quand quelqu'un appelle SOS violence conjugale ou appelle directement dans une maison et dit : ''Là, il faut que je parte d'ici'', ce n'est jamais banal », souligne cette dernière, qui sonne l'alarme d'un problème de ressources et d'hébergement qui s'est aggravé au cours des dernières années.

Ce que tu dois savoir : C'est près de la moitié (49 %) des 16 327 appels qu'a reçu SOS violence conjugale, soit au moins 8 000 demandes d'aide pour une place en maison d’hébergement qui n'ont pas pu être résolues entre avril 2023 et mars 2024, a dévoilé La Presse en avril dernier.

Pour l'année 2022-2023, c’est un total de 40 % des demandes pour lesquelles aucun endroit n'a été trouvé pour les personnes en situation d'urgence. Et au cours de cette même période, les 43 ressources membres du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale au Québec ont dû refuser 3 300 femmes par manque de places, souligne le quotidien montréalais.

La semaine dernière, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a voulu se faire rassurante en disant que les personnes concernées ne sont pas laissées « en détresse toutes seules ».

C'est pourtant ce qui se passe. « Au moment où la personne nous dit: ''il faut que je m'en aille d'ici'', peu importe ce qu'elle anticipe, ça ne va pas bien. On devrait toujours pouvoir dire oui [on va t'aider]. Là, ce n'est pas le cas en ce moment », insiste Mme Thibaudeau.

« Des fois, c'est la seule opportunité qu'elle avait [de partir]. Elle y a pensé pendant des jours. Elle a demandé à son ami.e d'aller chercher son enfant à la garderie pour qu'elle puisse [...] nous téléphoner pendant ce temps-là. Elle s'est organisée d'une façon X. Puis là, à l'appel, elle demande de l'hébergement pour se faire dire: ''Désolée, on n'a pas d'hébergement'', mais il y a quand même une intervenante pour faire des scénarios de protection », déplore-t-elle, car cela ne répond pas, bien souvent, à l'urgence de la situation.

Une place en maison d'hébergement, ce n'est pas « juste un toit », c'est aussi des intervenant.e.s et des ressources pour accompagner les victimes dans leur processus de reprise de pouvoir, insiste la responsable de l'organisme.

Au cas où tu ne le savais pas : Depuis quelques années, il y a plus de personnes ou de situations dans lesquelles les victimes sont en détresse. SOS violence conjugale reçoit en moyenne 50 000 appels ou messages texte par année depuis la pandémie, soit environ deux fois plus que le volume qu'avant la crise sanitaire.

Par ailleurs, il y a eu 15 féminicides en 2021 ainsi qu'en 2022. S'il y a eu une baisse du nombre de meurtres dirigés contre des personnes s'associant au genre féminin, il n'en demeure pas moins qu'il y a de plus en plus de victimes qui demandent à l'aide. « Il faut qu'il y ait moins de gains pour les auteurs de violences, qu'il y ait plus de conséquences. Plus de conséquences de toutes sortes, notamment au niveau de la garde des enfants après une rupture », considère cette dernière.

Justement, Québec souhaite mieux outiller les tribunaux contre la violence judiciaire, car de nombreuses victimes parentales demeurent sous l'emprise d'un ex-conjoint à travers des procédures coûteuses et répétitives, apprend-on dans un récent reportage de Radio-Canada.

« Souvent, une rupture ou porter plainte, ça peut faire en sorte que la situation devienne plus dangereuse encore. Les victimes, elles naviguent dans l'incertitude. Elles ne ne savent pas si porter plainte, ça va les amener vers plus de sécurité ou si, au contraire, leur vie va être un enfer pour les deux ou trois prochaines années. Elles ne savent pas, mais elles sentent le risque. C'est comme de jouer à la roulette russe », illustre Mme Thibaudeau.

Pour en savoir plus sur le sujet : Si tu t'interroges sur ta relation amoureuse, tu peux faire un questionnaire interactif sur le site Web de SOS violence conjugale. Ce test permet d'identifier les différentes formes de violence conjugale ainsi que des comportements problématique.

Plus de 350 000 personnes ont rempli ce questionnaire depuis son lancement en novembre 2020, affirme la responsable de l'organisme. Il y a également des milliers d'internautes qui ont effectué un autre test, qui comprend des scénarios afin de savoir si des signes de contrôle dans ta relation.

« C'est populaire parce qu'il y a beaucoup de gens qui se posent des questions sur ce qu'ils rencontrent dans leur relation, puis qui hésitent beaucoup, beaucoup, beaucoup, avant de mettre le mot violence conjugale sur leur situation. Parce que c'est comme une grosse accusation qu'on fait à son partenaire, de dire que c'est de la violence conjugale », explique-t-elle.

La violence psychologique a souvent pour effet de mettre « beaucoup de brouillard » autour des victimes. Et il y a encore beaucoup de travail à faire pour prendre conscience de l'ampleur du phénomène, considère Mme Thibaudeau. « C'est pour ça nos outils en ligne et les tests », fait-elle valoir.

On rappelle à toute personne victime de violence ou connaissant une personne en détresse que plusieurs ressources existent, comme SOS violence conjugale (1-800-363-9010).

2024-05-10T13:54:04Z dg43tfdfdgfd