PRENDRE LES JEUNES «EN FLAGRANT DéLIT DE BIEN FAIRE»

Plusieurs critiques ont été formulées ces dernières années envers les centres jeunesse sur la sous-scolarisation des jeunes. À l’école Le Tremplin, dans le centre jeunesse de Chambly, on a pris les grands moyens pour améliorer l’expérience scolaire des jeunes et favoriser leur réussite. On mise désormais sur le renforcement positif et une approche sensible au trauma. Et cela semble porter ses fruits.

En passant la porte de la salle de classe de Mylène et de Nathalie, on sent tout de suite un effet d’apaisement : l’éclairage est tamisé, une musique douce donne envie de ralentir et l’odeur d’huile essentielle à l’orange se mélange à celle du pain frais cuit en classe le matin même.

Les sept élèves de cette classe de primaire en formation adaptée partent de loin : traumas complexes, troubles de l’attachement, absence d’apprentissages importants. Plusieurs d’entre eux ne sont pas allés à l’école depuis longtemps. « Notre but, c’est que les enfants aient le goût de venir à l’école, qu’ils soient bien, qu’ils puissent se poser et devenir des apprenants, explique Mylène. On leur a créé un petit havre de paix dans lequel ils peuvent vivre des succès. »

Une murale colorée représente les élèves dans des costumes de super­héros. Ils ont chacun leurs superpouvoirs, qui font écho à leur personnalité respective. Motoman peut dépanner tout le monde avec son véhicule, Wolf parle aux animaux, Helpman sait toujours qui est dans le besoin et comment prendre soin des gens…

Mylène et Nathalie se basent sur les intérêts des jeunes pour développer leurs compétences à travers des projets concrets. Ils visitent des personnes âgées, font du camping en classe et suivent l’incubation de poussins. Autant d’occasions de leur faire vivre des expériences positives et des succès.

« Aux rencontres de parents — qui incluent généralement la famille biologique, la famille d’accueil et les intervenants —, les parents nous disent souvent que c’est la première fois qu’ils entendent du beau de leur enfant », souligne avec fierté la directrice de l’école, Valérie Côté.

Avant la visite du Devoir, en dehors des heures de classe pour ne pas perturber leur routine si essentielle à leur bon fonctionnement, les élèves ont tous écrit un mot sur leur classe. Ils évoquent les poussins, le poisson, les activités spéciales, la confection du pain le lundi matin. Un jeune mentionne l’importance des coins bulles dans la classe. Un autre indique qu’il « adore aller jouer dehors », en mettant l’accent sur « deux fois par jour ».

Mylène et Nathalie parlent justement des récréations. Les enfants avaient un tel retard psychosocial à leur arrivée qu’ils ne savaient même pas quoi faire pendant ces périodes de jeu libre à l’extérieur. « On a dû leur apprendre à jouer », affirme Mylène, pleine d’empathie.

Exit les suspensions

Lorsqu’un enfant est trop turbulent, Nathalie va sortir avec lui dans le corridor pour tenter de comprendre ce qui l’affecte et l’aider à trouver des solutions pour reprendre son rôle d’apprenant. Si cela ne fonctionne pas, elle va lui suggérer d’aller faire une pause à l’unité de vie, à l’étage.

« On n’utilise pas les suspensions ou les retraits, on ne veut pas que ce soit vu comme du rejet, explique Nathalie. On va plutôt dire à l’élève : “Tu n’arrives pas en ce moment à faire ton rôle d’élève, les adultes en haut vont prendre soin de toi et, dès que tu seras disponible, tu reviendras avec nous et on va t’accueillir avec plaisir, parce que ta place est ici”. »

Le même principe s’applique à l’ensemble des classes de l’école Le Tremplin, qui peut accueillir jusqu’à 156 élèves âgés de 11 à 21 ans. « Si un gars ne va pas bien, on ne veut pas qu’il s’en aille, on veut qu’il reste », explique la directrice.

Les jeunes qui séjournent ici sont divisés en deux catégories. Il y a ceux qui sont placés pour assurer leur protection en fonction de la Loi sur la protection de la jeunesse. S’ils sont au centre de réadaptation, un service de « bout de ligne », c’est généralement parce que les autres types de placement n’ont pas fonctionné. Ces jeunes vivent dans des unités ouvertes ou d’encadrement intensif et partent à leurs 18 ans. Certains fréquentent l’école du quartier, d’autres vont à l’école sur le site, en fonction de leurs capacités et de leurs besoins.

D’autres sont placés en détention dans des unités fermées à la suite d’un délit en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescentes. Ceux-ci peuvent y rester jusqu’à l’âge de 21 ans, le temps de purger leur peine.

En flagrant délit de bien faire

En 2020, le chercheur Martin Goyette révélait qu’à peine 25 % des jeunes qui sortent des centres jeunesse détiennent un diplôme d’études secondaires à l’âge de 19 ans. Il notait par ailleurs que la scolarisation des jeunes n’était pas une priorité dans ces établissements, qui devraient pourtant utiliser la scolarisation comme levier à la réadaptation. La commission Laurent faisait sensiblement les mêmes constats.

Depuis environ cinq ans, l’école Le Tremplin et le centre jeunesse de Chambly ont entrepris un virage pour travailler dans ce sens. Ils se sont adjoint les services de divers chercheurs, dont Martin Goyette, pour faire la transition vers une stratégie qui mise sur le soutien au comportement positif et une approche sensible au trauma.

« La phrase à retenir, c’est qu’on veut prendre le jeune en flagrant délit de bien faire », résume Valérie Côté, sourire aux lèvres. Elle précise que 80 % du travail consiste à nommer les bons comportements des jeunes, ce qui leur donne envie de les reproduire.

Ce changement de paradigme a des effets bénéfiques, constate-t-elle. La violence a diminué, mais surtout, le nombre de diplômés se multiplie, au point qu’elle a commencé à organiser des cérémonies de remise des diplômes. Leur nombre est passé de pratiquement zéro à trois puis à cinq par année.

Si la directrice met en avant les succès de la nouvelle approche, elle reconnaît néanmoins que tout n’est pas parfait. Et son plus gros défi, c’est de trouver le moyen de ramener certains jeunes qui avaient déjà lâché l’école ou qui accumulaient les absences avant d’arriver au centre. « J’ai des jeunes qui ne veulent pas descendre, ils veulent dormir, ils cherchent à éviter les matières difficiles, alors on trouve des stratégies pour les ramener dans leur rôle d’apprenant », explique-t-elle.

Andrée-France, éducatrice dans une classe de jeunes contrevenants, note que ces « refus scolaires » coïncident souvent avec des événements difficiles qui surviennent dans la vie des jeunes : mauvaises nouvelles de la famille, un passage au tribunal, une évaluation à l’unité, etc. « Ils vivent tellement de choses pas faciles que moi aussi, des fois, je resterais couchée plutôt que de venir faire face à mes difficultés. »

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