UN MUSéE FéDéRAL ET SES CONTROVERSES : RETOUR SUR L’HISTOIRE DU MCDP

Situé sur le site historique de La Fourche, à Winnipeg, le Musée canadien pour les droits de la personne est aujourd’hui un emblème de la capitale manitobaine, reconnu pour son architecture unique et présentant de nombreuses expositions. Mais, au-delà de son image, le Musée a aussi connu un parcours tumultueux, semé d’embûches. 

Son histoire débute d’ailleurs bien avant son ouverture, en 2014. À l’occasion du 10e anniversaire de ce musée fédéral, Radio-Canada revient sur 10 événements qui ont marqué son évolution des années 1990 à aujourd’hui. 

1- Les premiers balbutiements 

L’idée d’un musée consacré aux droits de la personne émerge dans les années 1990, lorsque des groupes de défense des droits des personnes juives demandent qu’une section du Musée canadien de la guerre, à Ottawa, soit consacrée à l’Holocauste. Cette initiative intéresse le premier ministre de l’époque, Jean Chrétien, mais se heurte à certains obstacles. Des groupes représentant les personnes d’origine ukrainienne soutiennent notamment que l’Holodomor, la grande famine subie par les Ukrainiens dans les années 1930, devrait aussi avoir une place au sein d’un musée fédéral.

L’initiative stagne, et ce, jusqu’à l’implication de l’homme d’affaires Israel, surnommé Izzy, Asper. Ancien député provincial au Manitoba et ancien chef du parti libéral de la province, le Winnipégois est connu pour avoir créé un grand empire médiatique. Il fonde également en 1983 la Fondation Asper. C’est cette dernière qui propose à Jean Chrétien de construire un musée consacré aux droits de la personne à Winnipeg. 

La Fondation reçoit une lettre d’approbation du ministère du Patrimoine canadien en 2003. 

Le projet est ainsi lancé officiellement. Parmi les premières étapes du développement figure la nomination de l'architecte américain reconnu à l’échelle internationale Antoine Predock pour assurer la conception du bâtiment. Ce dernier, alors établi au Mexique, conçoit les plans d’un bâtiment unique, qui lui vaudra plus tard 14 distinctions et qui se retrouvera sur les billets de 10 $ canadiens. 

2- Le projet prend son envol

Izzy Asper n’aura malheureusement jamais l’occasion de voir son idée se concrétiser, puisqu’il meurt en octobre 2003. Sa fille, Gail Asper, reprend alors le flambeau pour y parvenir.

Le décès de son instigateur et le départ politique de Jean Chrétien, deux mois plus tard, freinent le projet pendant quelques années.

Élu premier ministre en 2006, Stephen Harper ravive les espoirs de voir naître le nouveau musée. Il promet même d’en faire une priorité nationale. 

En 2008, Ottawa modifie la Loi sur les musées pour permettre la création d’un nouvel établissement. Ce sera le Musée canadien pour les droits de la personne. Le gouvernement Harper désigne alors le premier directeur général de l’établissement, l’ancien politicien manitobain Stuart Murray. Le mandat de ce dernier sera par la suite parsemé de défis. 

3- Mécontentements autour des fouilles archéologiques 

Avant la construction du Musée, une fouille archéologique du lieu où le bâtiment sera construit est effectuée. La Fourche, site historique où se rencontraient les peuples autochtones, promet de regorger d’artefacts. 

En 2013, le Musée canadien pour les droits de la personne annonce que plus de 400 000 artefacts ont été découverts durant ces fouilles. Parmi les vestiges, il y a notamment des foyers, des bols de céramique et des objets sacrés. 

Bien que substantiels, les résultats des fouilles attirent les critiques de certains représentants des communautés autochtones, parce que seulement 2 % du site auraient été examinés. Un groupe d’archéologues dénonce également la gestion de la conservation des artefacts trouvés. 

4- Deux génocides, deux traitements

Le Musée canadien pour les droits de la personne s’est donné pour mission de représenter les cinq génocides reconnus par le gouvernement canadien.

Le débat sur la place de l’un de ces derniers, l’Holodomor, revient à plusieurs étapes de la construction. La décision de la direction du Musée de consacrer une salle complète à l’Holocauste, tandis que seule une section d’une autre salle serait consacrée à la famine en Ukraine ne passe pas auprès de certains représentants ukrainiens. 

Certains participent d’ailleurs aux assemblées générales du Musée et demandent à Ottawa de créer un comité consultatif indépendant pour décider du contenu des expositions. Leurs efforts seront toutefois vains : encore aujourd’hui la salle Examiner l’Holocauste est consacrée à la Shoah, tandis que Briser le silence présente l’Holodomor ukrainien aux côtés notamment du génocide arménien, du génocide au Rwanda et du massacre de Srebrenica, en Bosnie.

En plus des génocides déjà reconnus par Ottawa, des événements qui n’ont pas reçu cette désignation officielle de la part du Canada reviendront également hanter les concepteurs du Musée en 2013. 

5- Génocide : on est loin du consensus 

Le traitement par le Musée des politiques établies par Ottawa concernant les peuples autochtones, notamment le système de pensionnats pour Autochtones et le déplacement de nombreuses communautés, est la source de débats.  

En 2013, une journaliste demande aux responsables du Musée si le mot génocide sera utilisé pour qualifier cette période sombre de l’histoire canadienne. À ce moment-là, ces derniers refusent d’employer ce terme, ce qui crée le mécontentement de représentants autochtones.

Le Musée changera toutefois de position en 2019 et décidera de laisser tomber l’appellation de génocide culturel pour parler plutôt de génocide. Il considère désormais toute l'histoire coloniale au Canada, du premier contact avec les Européens jusqu'à aujourd'hui, comme un génocide.

6- L’inauguration du Musée

Le Musée canadien pour les droits de la personne ouvre officiellement ses portes au mois de septembre 2014. Certaines salles sont présentées au public, mais d’autres ne seront prêtes que plusieurs semaines plus tard. 

En marge de la cérémonie d’ouverture, des manifestations ont lieu. Des manifestants palestiniens critiquent la place qu’aura la situation dans la bande de Gaza dans le Musée. 

De même, des manifestants autochtones, notamment des membres de la nation de Shoal Lake, en Ontario, d'où provient l'eau potable de Winnipeg, veulent pour leur part souligner l’importance d’y mettre de l’avant les droits des peuples autochtones en campant près du Musée. 

Quelques semaines après l’inauguration, le directeur général, Stuart Murray, quitte ses fonctions. Il sera remplacé l’année suivante par John Young, un professeur de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique. Ce dernier s’installe au Manitoba au mois d’août 2015. 

7- Que faire des figures déchues? 

En 2017, la présence de l’ancienne dirigeante du Myanmar Aung San Suu Kyi dans deux expositions du Musée soulève des questions. La femme politique y est présentée notamment au quatrième étage, dans l’exposition Les tournants de l’humanité, aux côtés de Nelson Mandela et du dalaï-lama, parce qu’elle a reçu le prix Nobel de la paix en 1991.

Cependant, des accusations d’expulsion de la minorité musulmane rohingya du Myanmar, un pays principalement bouddhiste, pullulent dans les médias durant l’été 2017. L'armée birmane est alors accusée d'avoir brûlé des maisons de Rohingyas dans l’État de Rakhine. Au mois d’août seulement, plus de 600 000 personnes auraient fui la région vers le Bangladesh. Les Nations unies qualifient la situation de nettoyage ethnique.

Aung San Suu Kyi, qui a dirigé le pays de 2016 à 2021, est vivement critiquée pour son inaction. Le Musée canadien pour les droits de la personne décide tout de même, dans un premier temps, de maintenir sa place dans ses expositions. 

Un an plus tard, le Musée modifie sa position après avoir consulté des membres de la minorité rohingya et des chercheurs. L’éclairage sur la photo d’Aung San Suu Kyi est retiré dans l’exposition Les tournants de l’humanité, et un panneau explicatif est ajouté. 

8- Des accusations de racisme, de censure et de harcèlement 

En 2020, de nombreuses allégations ternissent la réputation du Musée. À la suite de la mort de George Floyd aux États-Unis et de l’avènement du mouvement Black Lives Matter, le Musée canadien pour les droits de la personne publie un message en soutien aux personnes noires. 

Cette déclaration ne passe pas auprès d’anciens employés qui s’enflamment sur les réseaux sociaux et font état de cas de racisme et d’homophobie au sein de l’établissement. Les témoignages s’accumulent, ce qui force le Musée à réagir. John Young, le président-directeur général du Musée, promet de reprendre la situation en main.

Par ailleurs, aux allégations de racisme s’ajoutent des allégations de censure. Des employés disent avoir dû cacher ou éviter une partie des expositions portant sur les droits des personnes LGBTQ+ à la demande de certains groupes scolaires et d’autres visiteurs comme des donateurs ou des diplomates. La consigne aurait été en vigueur entre 2015 et 2017. L’avocate Laurelle Harris est chargée de mener une enquête indépendante sur les pratiques de discrimination du Musée.

Et ce n’est pas fini. Quelques jours plus tard, des allégations de harcèlement sexuel en milieu de travail compliquent de nouveau la situation pour le Musée. D’anciennes employées affirment avoir porté plainte contre les comportements d’un collègue. Selon leurs dires, leurs demandes auraient été ignorées par les ressources humaines du Musée. 

Face à cette tempête, John Young quitte ses fonctions à la fin du mois de juin 2020

9- Racisme « omniprésent » et « systémique » au Musée

L’examinatrice winnipégoise Laurelle Harris publie les premières conclusions de son rapport indépendant sur les allégations de discrimination au Musée au mois d’août 2020. Ses conclusions sont sans équivoque : le racisme est omniprésent et systémique au sein de l’établissement. Le rapport souligne également l’hétérosexisme présent au Musée.

L’équipe d’examen a entendu des témoignages de première main sur les cas de plusieurs personnes au MCDP et sur les traumatismes, les préjudices physiques, émotionnels et financiers qu'elles ont subis , indique le rapport. Le document contient également 44 recommandations pour le gouvernement fédéral.

Un an plus tard, en 2021, le rapport final de l’enquête indépendante est publié. Les conclusions renforcent celles qui avaient déjà été dévoilées dans le premier rapport. Laurelle Harris se penche également davantage sur les plaintes pour harcèlement sexuel. Selon ses conclusions, plusieurs d’entre elles ont été ignorées par l’administration du Musée.

Le second rapport ajoute également 16 nouvelles recommandations aux 44 qui avaient déjà été publiées. Elles portent notamment sur la formation du personnel afin de prévenir le racisme et le harcèlement. 

10- Une nouvelle présidente pour calmer le jeu

Au mois d’août 2020, le ministre du Patrimoine canadien de l’époque, Steven Guilbeault, désigne la première femme présidente-directrice générale de l’histoire du Musée. Il s’agit d’Isha Khan, une avocate spécialisée dans les droits de la personne, qui travaille déjà pour le Musée au moment de sa nomination. 

Son mandat est notamment d’assurer la mise en pratique des recommandations du premier rapport indépendant, publié quelques jours avant sa nomination, et du second, dévoilé durant la première année de son mandat. 

Celle qui est toujours PDG du Musée aujourd’hui a pris position sur diverses questions depuis son entrée en fonction. En 2022, notamment, elle a promu la décision du Musée de rendre toutes ses toilettes non genrées

En 2023, Isha Khan exprime également son soutien aux demandes de fouilles d'un dépotoir pour retrouver les restes humains de femmes autochtones.

Le Musée canadien pour les droits de la personne s’apprête désormais à souffler ses 10 bougies. Les célébrations pour souligner cet anniversaire débuteront le 20 septembre. 

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