VIOLENCE CONJUGALE : « LE TEMPS JOUE TOUJOURS CONTRE NOUS »

Isadora nous accueille dans son nouvel appartement, qu’elle prend plaisir à décorer à son image. Il faut dire qu’il y a longtemps qu’elle ne s’était pas sentie chez elle.

Il y a un peu plus d’un an, elle a quitté une relation violente. Elle a séjourné dans une maison d’hébergement, puis dans une maison de deuxième étape – un lieu de transition pour les victimes de violence conjugale – avant de finalement s'installer dans un appartement.

Ça m’a pris beaucoup de courage, je pense, de partir, souffle-t-elle.

Son ex-conjoint était extrêmement violent. Pendant plusieurs années, il s’en est pris à elle physiquement, mais aussi à tout ce qu’elle avait de plus précieux.

Il a détruit mes livres, il a lu tous mes journaux intimes. Il a jeté mes vêtements, tout ce que je préférais, se souvient-elle.

Elle a essayé plus d’une fois de le quitter, mais elle revenait toujours vers lui. Même s’il était violent, elle l’aimait et avait toujours espoir que la relation redeviendrait comme au départ.

J’avais subi tellement de choses de sa part et, par amour, je me disais "ça va changer, ça doit être moi [le problème]". Tu sais… le cycle de la violence, dit-elle.

Des renforts pour déménager

C'est une intervenante qui lui a parlé de Transit Secours, un organisme qui offre des services de déménagement d’urgence et d’entreposage pour les victimes de violence conjugale.

Ça a vraiment changé ma vie, admet Isadora, avant d’ajouter : Quand j’ai décidé que je voulais partir, le peu que j’avais, je voulais le garder et je devais partir maintenant.

Elle a établi l’inventaire de ses biens avec l’organisme qui l’a aidée à déménager. Transit Secours a aussi entreposé ses meubles pendant près d’un an, alors qu'elle séjournait en maison de deuxième étape.

Ils se sont intéressés à mon histoire. Ils m’ont demandé si j’avais besoin d’un garde de sécurité, raconte-t-elle.

Ça m’a enlevé vraiment un gros poids de sur les épaules, dit-elle en souriant. Je savais que, quand j’aurai trouvé ma place, j’aurais mes meubles qui m’attendraient.

Un déménagement tous les trois jours

Installé à Montréal depuis septembre 2020, Transit Secours effectue un déménagement tous les trois jours environ, mais la demande est bien plus grande et l’organisme n’arrive pas à y répondre.

Les clientes doivent attendre environ quatre semaines actuellement.

Ça peut même aller jusqu’à six semaines, admet Anathalie Jean-Charles, directrice de succursale à Montréal.

On voudrait vraiment réduire [le temps d'attente] à deux semaines, ce qui est l’idéal, mais en ce moment, c’est un peu compliqué avec la pénurie de bénévoles, ajoute-t-elle.

Transit Secours est le seul organisme qui offre ce service au Canada.

Les déménagements, faits par des bénévoles, sont gratuits pour les personnes qui en bénéficient. L'organisme assure aussi à la femme une sortie sécuritaire de son milieu de vie violent et l'accompagne jusqu'à ce qu'elle ait trouvé une nouvelle résidence.

Malheureusement, la dangerosité est souvent présente dans le processus.

Souvent, l’abuseur va être encore sur les lieux. Un des aspects qui peut augmenter le niveau de violence, c’est quand l’abuseur se rend compte que la femme veut partir, explique Anathalie.

Le temps joue toujours contre nous, quoi qu’il arrive, dit-elle.

Plus de ressources nécessaires

Le fondateur et PDG de Transit Secours, Marc Hull-Jacquin, est bien conscient de la demande.

Nous estimons la demande à dix fois plus grande que le nombre de déménagements que nous avons réussi à compléter l’année passée. Il va falloir une augmentation énorme de nos capacités pour répondre aux besoins, souligne-t-il.

On a prouvé que le service est fiable. On a prouvé qu’on peut déployer des ressources de façon consistante. Maintenant, c’est une question de ressources pour augmenter nos capacités, explique Marc Hull-Jacquin.

Transit Secours est présent dans neuf grandes villes canadiennes, et d'autres villes ont déjà manifesté leur intérêt pour que l’organisme s’y installe.

Mais pour ce faire, il faut, d'après lui, un plus grand engagement financier de la part des gouvernements.

En 2024, le fait de perdre une femme ou une fille tous les deux jours dans ce pays, pour moi, est complètement inacceptable. Nous avons les ressources, nous avons les moyens, nous avons la main-d'œuvre, ajoute-t-il.

D’autant plus que les experts sont unanimes : le moment le plus dangereux pour une victime de violence conjugale est lorsqu’elle tente de mettre fin à la relation.

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