Les conditions de Justin Trudeau et les demandes de François Legault et de ses homologues provinciaux ont fini par céder leur place au compromis. L’offre fédérale est moins généreuse que réclamé, mais elle ne sera en contrepartie qu’assortie de peu ou pas de reddition de comptes. Si l’impasse politique s’est dénouée, sur le terrain, les salles d’urgence qui débordent, les listes d’attente interminables et la recherche d’un médecin de famille par six millions de Canadiens risquent de perdurer. Une occasion manquée, déplore Jane Philpott, ancienne ministre de la Santé du gouvernement Trudeau.
Du côté fédéral comme de celui des provinces, les lignes tracées dans le sable depuis deux ans se sont soudainement estompées dans les dernières semaines.
Justin Trudeau répétait avant Noël que « ce ne serait pas la bonne chose à faire de simplement investir plus d’argent » et de « regarder le problème aller sans le régler » en n’imposant pas d’obligations de résultat aux provinces en échange de fonds destinés à leurs systèmes de santé. L’offre de 46,2 milliards de nouvel argent qu’il leur a faite mardi ne comptait pourtant, pour ainsi dire, pas de conditions.
Les provinces refusaient net, quant à elles, de discuter avec Ottawa tant que le fédéral ne leur offrirait pas au minimum 28 milliards de plus dès l’an prochain. Finalement, elles semblent résignées à se contenter de six fois moins par année, en moyenne, pour les cinq prochaines années.
Les premiers ministres provinciaux feront le point vendredi, lors d’une rencontre virtuelle. Mais déjà, la ministre de la Santé de l’Ontario, Sylvia Jones, affirmait mercredi qu’il « ne fait aucun doute que nous accepterons toute nouvelle dépense ou tout nouvel investissement en santé ».
La pandémie a changé la donne. Les crises qui affligent les systèmes de santé, à bout de souffle depuis trois ans, ont fait en sorte que les citoyens n’ont plus la patience de regarder leurs gouvernements s’entêter dans des guerres de chiffres des mois durant. L’échéancier budgétaire a en outre certainement forcé la main du fédéral et des provinces, qui souhaitaient clore ces négociations avant de boucler leurs énoncés financiers. « Ce ne sont pas des négociations gagnantes, au niveau de l’image publique. La population veut savoir le résultat de la négociation, mais ne veut pas passer des semaines à entendre parler des négociations », indique Maude Laberge, professeure d’économie de la santé à l’Université Laval.
Les bureaux du premier ministre de deux provinces confiaient justement, cette semaine, qu’ils sentaient bien cette impatience de leurs citoyens. Ainsi qu’un « sentiment d’urgence », reconnaissait l’une de ces sources, et une volonté « de régler le dossier », expliquait une autre.
Et pour cause : 86 % des Canadiens s’avouaient inquiets de l’état du système de santé de leur province, dans un récent sondage Léger. Les proportions les plus élevées ont été observées dans les provinces de l’Atlantique (96 %), au Québec (89 %) et en Ontario (85 %). Or, ce sont justement les premiers ministres des Maritimes et l’Ontarien Doug Ford qui ont rapidement souligné que les nouveaux investissements, même en deçà des attentes, n’étaient « certainement pas négligeables ».
Le contexte postpandémique a donc mené à « une conversation plus conciliante », mais qui n’a pas été à la hauteur de « l’ambition qui aurait été nécessaire » pour combler les trous béants du système, selon Jane Philpott, qui a été ministre fédérale de la Santé de 2015 à 2017 et qui avait chapeauté le dernier cycle de négociations, difficile, dans ce dossier éternellement litigieux.
Mme Philpott juge que l’offre de son ancien gouvernement a manqué d’« imagination » pour repenser le financement et soulager les systèmes de santé. Justin Trudeau aurait dû insister, par exemple, pour exiger des provinces des résultats tangibles en matière d’accès à un médecin de famille ou de soins de première ligne.
Le premier ministre Trudeau soulignait mardi, en vantant sa proposition, qu’il était justement « temps d’être à la hauteur du moment ». « Ce moment était devant eux, et cela me rend triste qu’il n’ait pas été saisi pour l’apport de réels changements en profondeur », se désole en entrevue la Dre Philpott, qui dirige aujourd’hui la Faculté des sciences de la santé de l’Université Queen’s.
L’enveloppe fédérale sera en outre insuffisante pour réellement soulager les systèmes de santé. « C’est un montant qui risque de ne pas changer grand-chose, en fait », lance Maude Laberge. Justin Trudeau a beau parler d’un investissement « majeur », « c’est une augmentation relativement marginale », nuance la professeure.
La ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, avait indiqué — voire répété — dans les derniers jours que le gouvernement devrait faire preuve de contrainte budgétaire. « Mais si vous voulez faire preuve de retenue, je rétorquerais que ce n’est pas dans le domaine de la santé qu’il faut le faire en ce moment », a répliqué Jane Philpott.
François Legault semble maintenant fonder ses espoirs sur un futur gouvernement conservateur, que formerait Pierre Poilievre s’il était élu dans les prochaines années. M. Poilievre s’est effectivement engagé à respecter les ententes que compte conclure rapidement Justin Trudeau avec les provinces. Mais il n’est pas allé jusqu’à leur promettre davantage d’argent, lui non plus.
M. Legault et ses homologues promettaient déjà mardi de revenir à la charge pour réclamer une énième fois que le fédéral bonifie sa part du financement de la santé. Mais les travailleurs du secteur et leurs patients regardaient leurs dirigeants à la télé en s’inquiétant qu’entre-temps, rien ne change pour autant.
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