AU CAMPEMENT PRO-GAZA DE MCGILL, LES éTUDIANTS SONT « PRêTS à TOUTE éVENTUALITé »

Les rangs des manifestants sur le campus de l'Université McGill, à Montréal, ont gonflé à vue d'œil. Entre 11 h et midi, lundi, leur nombre est passé de quelques dizaines à quelques centaines de personnes.

Ils étaient nombreux en cette journée frisquette à venir en renfort à l’appel du mouvement étudiant propalestinien, craignant une intervention policière visant à démanteler leur campement.

Rassemblement d’urgence : la présence policière est en hausse sur le campus, aidez les étudiants à protéger le campement, indiquait un message qui s’est répandu comme de la poudre sur les réseaux sociaux.

Le campement, qui comptait une quinzaine de tentes samedi, lors de son installation, en compte aujourd’hui une cinquantaine. Entre 60 et 80 personnes y campent la nuit, derrière des clôtures métalliques érigées par les étudiants, selon les organisateurs.

Il s’agit principalement d’étudiants de l’Université McGill, mais aussi de Concordia, de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université de Montréal, dont des membres du groupe Voix juives indépendantes.

Des dizaines d’enseignants sont aussi présents sur les lieux, de jour comme de nuit, en signe de solidarité avec les étudiants.

Se disant inspirés par le mouvement étudiant propalestinien aux États-Unis, les manifestants présents sur le campus de McGill affirment partager les mêmes revendications : un cessez-le-feu immédiat à Gaza et le boycottage d’Israël.

Nous dénonçons la complicité des universités dans le génocide en cours à Gaza, affirme Ali, l’un des porte-parole du campement. Nous appelons les universités à ne plus investir dans les entreprises israéliennes qui produisent des armes et qui profitent de la guerre.

Le groupe dénonce notamment un investissement de l'Université McGill dans le fabricant d'armes américain Lockheed Martin. Selon les données publiques de l’université, la valeur de cet investissement a été de près de 520 000 $ en 2023.

Mise en garde de McGill

L’administration de l’Université McGill a mis en garde lundi les protestataires contre la poursuite du campement, menaçant de faire appel à la police pour démanteler les tentes installées sur son terrain.

Les responsables de l’université dénoncent notamment la présence de plusieurs manifestants venus de l’extérieur de McGill et affirment avoir été témoins de discours et de comportements antisémites épouvantables de la part de certains manifestants.

L'université n’autorise pas ce rassemblement, vous n’avez pas le droit d’être ici, a lancé Nicholas Thibert-Auclair, qui travaille pour la sécurité de McGill, en s’adressant à la foule à l’aide d’un porte-voix.

Honte à vous!, ont répliqué les manifestants.

Dans un courriel, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) affirme être au fait des événements [...] et y porter attention. Depuis le début, il n’y a eu aucun débordement ni arrestation, assure toutefois la police montréalaise, disant être en contact avec l’administration de l'université.

Une injonction provisoire doit d'ailleurs être déposée mardi au palais de justice de Montréal par deux étudiants représentés par l’avocat Neil Oberman. L'objectif est que la cour ordonne le démantèlement du campement.

Un geste qui ne semble toutefois pas ébranler la détermination des manifestants. Ali, leur porte-parole, affirme que les étudiants propalestiniens sont prêts à toute éventualité et qu’ils comptent rester sur place malgré la demande d’injonction.

Certains pensent que résister implique des actes de violence, mais nous avons vu comment aux États-Unis les gens ont résisté en se tenant côte à côte, de façon solidaire, pour empêcher les policiers d’accéder au campement, a-t-il expliqué. C’est ce qu’on compte faire ici.

Nous avons, bien sûr, pensé aussi à d’autres tactiques, mais aucune d’entre elles ne sont violentes, a-t-il encore assuré.

« Je n'ai pas peur »

La tête coiffée d’un keffieh ne laissant entrevoir que ses yeux verts, Anna, une étudiante de McGill, préfère ne pas révéler son identité. Elle se présente comme membre du groupe Voix juives indépendantes et participe aux manifestations dans le campement depuis le premier jour.

Elle dénonce la passivité de l’administration de McGill qui, selon elle, refuse d’écouter ses étudiants.

Nous avons décidé d’ériger ce campement comme dernier recours parce que nous avons épuisé toutes les autres options possibles, assure-t-elle, tout en disant espérer que l’université ne fera pas appel à la police pour déloger les étudiants de force, comme cela a été le cas aux États-Unis.

Se sent-elle menacée par les slogans propalestiniens? Je suis moi-même juive et je n’ai pas peur, assure-t-elle. Je ne me sens pas menacée par les manifestants, je me sens plutôt menacée par l’administration de McGill.

Elle affirme que les manifestants juifs sont impliqués dans ce mouvement depuis le début de la guerre israélienne dans la bande de Gaza, il y a sept mois. Nous sommes des membres fondateurs de ce campement et nous sommes ici pour dire qu’il y a une distinction à faire entre le judaïsme et le sionisme.

Dimanche, un souper a été organisé sur le site du campement à l’occasion de la Pâque juive. C’était vraiment beau à voir, il y avait beaucoup de monde, dit-elle.

Jonathan Sterne soutient lui aussi n’avoir vu ou entendu aucun geste ou propos antisémites dans le campement. Ce professeur en communication de confession juive enseigne à l’Université McGill depuis bientôt 20 ans et affirme soutenir les étudiants propalestiniens à 100 %.

L’antisémitisme existe bel et bien au Canada et c’est un véritable problème, mais le fait de critiquer Israël n’est pas antisémite, selon lui.

Enfant, j’ai reçu une éducation sioniste très stricte, explique M. Sterne. Je connais donc très bien ce refrain.

Selon lui, les responsables de l'université n’ont pas fait grand chose pour réduire les tensions sur le campus. Au contraire, l’administration envoie des courriels menaçant de faire appel à la police, qualifiant les manifestants de radicaux et de dangereux, dénonce-t-il.

« Pas de place pour l’antisémitisme »

Norma Rantissi enseigne quant à elle la géographie à l’Université Concordia. D’origine palestinienne, elle a des proches qui résident encore en Cisjordanie, un territoire occupé par Israël depuis 1967.

C’est un mouvement très pacifique qui s’inspire largement du mouvement anti-apartheid qui a eu lieu en Afrique du Sud, assure-t-elle, un keffieh autour du cou. Nous organisons des cours, des projections de films, ainsi que des débats et discussions avec les étudiants.

À ma connaissance, il n’y a personne dans ce campement qui a prononcé des propos antisémites, dit encore Mme Rantissi. Il n’y a pas de place pour l’antisémitisme ici.

Un peu plus loin, à une centaine de mètres du campement, plusieurs jeunes sont rassemblés, l’air indifférent par les cris des manifestants en soutien aux Palestiniens de Gaza. Il s’agit d’une cohorte de futurs étudiants en visite sur le campus.

Arielle fait partie de ce groupe. Elle est venue de New York avec sa mère et compte s’inscrire au programme de neurosciences à McGill.

Le campement risque-t-il de lui faire changer d’avis? Non, assure-t-elle. Je n’ai pas d'opinion sur ce qui se passe, mais je ne me sens pas menacée. J’ai vu des manifestations bien plus importantes à New York.

Des amitiés « brisées »

Un peu plus loin, un jeune homme et une jeune femme, des étudiants en droit, se prélassent au soleil, sur une petite colline qui surplombe les manifestants. C’est leur dernier jour d’examen.

Ils acceptent de commenter sur le campement, mais à condition de ne pas révéler leur identité. Les deux se disent dévastés par ce qui se passe à Gaza, affirmant que la guerre a brisé des amitiés au sein de la faculté de droit.

Le jeune homme dénonce toutefois certains slogans lancés par les manifestants propalestiniens qui, selon lui, incitent à la haine et à la violence. Il donne en exemple le slogan qui glorifie l’intifada.

En arabe, le mot intifada signifie soulèvement. Dans le conflit israélo-palestinien, l'intifada fait référence à deux révoltes des Palestiniens contre l’occupation israélienne, marquées par une série d’attentats et de violences ciblant des civils israéliens.

À l’extérieur du campus de McGill, une centaine de femmes crient à tue-tête devant le bureau du premier ministre François Legault. Il s’agit d’un rassemblement éclair organisé par des dizaines d’organismes communautaires et groupes féministes dans le cadre d’une action menée simultanément dans plusieurs villes à travers le Québec. Elles se disent écoeurées par les politiques discriminatoires et les atteintes aux droits des femmes, mais aussi des personnes de la diversité et des migrantes.

Dans ce qui s’apparente à une convergence des luttes, elles s’apprêtent à rejoindre le campement de McGill. Mais pourquoi?

Une lutte contre le génocide est une lutte féministe, assure l’une des organisatrices, rappelant qu’une grande partie des victimes à Gaza sont des femmes et des enfants.

La guerre a été déclenchée le 7 octobre quand des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza ont mené une attaque sans précédent dans le sud d'Israël, entraînant la mort de 1170 personnes, essentiellement des civils, selon un bilan de l'AFP établi à partir de données officielles israéliennes.

Plus de 250 personnes ont été enlevées et 129 restent captives à Gaza, dont 34 sont mortes selon des responsables israéliens.

En représailles, Israël a juré d'anéantir le Hamas à Gaza, bombardant le territoire sous blocus depuis plus de 200 jours, faisant 34 488 morts, majoritairement des civils, selon le ministère gazaoui de la Santé.

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