INGéRENCE: LA CHAMBRE DEVRAIT ADOPTER UNE MOTION POUR éLARGIR L'ENQUêTE PUBLIQUE

OTTAWA — Une motion bloquiste visant à ce que la portée de l'enquête publique sur l'ingérence étrangère soit élargie afin qu'elle se penche sur les révélations voulant que «certains parlementaires» aient, «sciemment ou par ignorance volontaire», participé à des manœuvres perturbatrices d'États étrangers, sera vraisemblablement adoptée.

Les libéraux et les néo-démocrates entendent voter en faveur, ce qui assure à la motion, qui devrait être soumise aux voix mardi, de recueillir assez d'appuis pour être adoptée, à moins d'un revirement de situation majeur. Ce résultat est attendu peu importe comment les conservateurs voteront.

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a profité lundi de la période des questions pour annoncer la position du gouvernement.

«Nous croyons que c'est une façon responsable d'examiner la question potentielle de parlementaires qui ont peut-être été impliqués dans cette ingérence étrangère», a-t-il dit en sortant de la Chambre pour s'adresser aux journalistes.

Il a mentionné qu'il est possible que «la Commission dispose déjà des autorités nécessaires pour faire cet examen» sans que la portée de son mandat ait à être élargie.

«Mais nous allons évidemment travailler avec la commission afin de s'assurer que la commissaire ait accès à tout ce dont elle a besoin», a-t-il poursuivi.

Les conservateurs souhaitent pour leur part la divulgation des noms des parlementaires auxquels fait référence un rapport fracassant publié par le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR).

Ils ont donc tenté, en vain, de modifier grandement la motion bloquiste, leur député Michael Chong mentionnant qu'il appuyait l'initiative, mais espérait une modification.

Des «renseignements inquiétants»

Le texte débattu lundi de force - en raison de la journée d'opposition du Bloc québécois - vise plus précisément à ce que la Chambre entérine l'idée que le mandat de la commission Hogue doit être revu pour «permettre (à la commission) d’enquêter sur les institutions démocratiques fédérales du Canada, incluant les parlementaires de la Chambre des communes élus lors des 43e et 44e législatures ainsi que les parlementaires siégeant au Sénat».

Cette demande fait écho au rapport du CPSNR qui a écrit avoir «vu des renseignements inquiétants selon lesquels certains parlementaires sont, aux dires des services du renseignement, des participants mi-consentants ou volontaires aux efforts d’ingérence des États étrangers dans la politique du pays».

Les auteurs du document ont donné en exemple des gestes allégués celui d'«accepter sciemment ou par ignorance volontaire des fonds ou des avantages de missions étrangères ou de leurs mandataires qui sont passés par plusieurs mains ou sont autrement déguisés pour en dissimuler la source».

«Devant une telle révélation, on ne peut rester de marbre, on ne doit pas rester de marbre», a dit le député bloquiste René Villemure en présentant la motion de sa formation politique.

Selon lui, il est clair que la commissaire pourra accéder à plus de documents que le CPSNR. «Ce dont je m’attends d’elle, c’est qu’elle puisse enquêter et rapporter ce qui peut l’être, afin de corriger ce qui doit l’être», a-t-il soutenu.

Le Bloc s'est distancié de l'approche conservatrice. «C’est spectaculaire de demander les noms. J'aimerais ça savoir les noms, mais ce n’est pas essentiel à la démarche de combat de l’ingérence étrangère», a affirmé M. Villemure.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a, dès le début du débat en Chambre sur la motion bloquiste, fait savoir que ses députés appuieront l'initiative, ce que le chef Jagmeet Singh a reconfirmé publiquement un peu plus tard.

En mêlée de presse, M. Singh a signalé que ses troupes ont envoyé une lettre à la commissaire Marie-Josée Hogue pour qu'elle se penche sur des éléments du rapport du CPSNR.

La missive mentionne la même portion du document portant sur «certains parlementaires», mais demande aussi à ce que la juge Hogue examine des allégations sur les récentes courses à la direction des conservateurs.

Le CPSNR mentionne que «des acteurs étrangers ont ciblé des campagnes à la chefferie de partis» sans se limiter à une seule formation politique.

Il est noté que, parmi les nombreuses phrases caviardées du rapport, certaines «décrivaient deux occasions où des représentants de la (Chine) se seraient ingérés» dans l'une de ces courses ainsi que de «l’ingérence alléguée de l’Inde» dans le même contexte.

D'autres passages non divulgués pourraient faire référence à d'autres formations politiques. Une course à la direction d'un parti autre que chez les conservateurs remonte à avant les élections de 2019 et 2021, qui se retrouvent davantage sous le feu des projecteurs bien que l'ingérence étrangère existait déjà auparavant.

Quoi qu'il en soit, M. Singh promet d'exclure tout membre de son caucus qui est «nommé» pour avoir sciemment collaboré avec des États étrangers dans des activités d'ingérence.

«Je mets au défi les autres chefs de faire la même chose», a lancé, dans le foyer de la Chambre, le chef du NPD, qui compte lire la version non caviardée du rapport causant l'émoi en utilisant sa cote de sécurité l'astreignant au secret à perpétuité.

Les conservateurs veulent des noms

Les conservateurs ont profité de leur temps de parole durant la période des questions pour, à nouveau, exhorter les libéraux à dévoiler les noms de «certains parlementaires» évoqués par le CPSNR. Leur lieutenant politique pour le Québec, Pierre Paul-Hus, s'est dit «heureux» après que le ministre LeBlanc lui eut répondu, dans un échange de la joute oratoire, que les libéraux appuieront la motion bloquiste, mais a insisté sur la demande de «donner les noms» de députés et sénateurs - s'il y a lieu.

«Le premier ministre (Justin Trudeau) va-t-il, oui ou non, révéler les noms de ses députés et les actes inacceptables qui leur sont reprochés?», a-t-il lancé. Le ministre LeBlanc, qui s'est levé pour répondre pendant que M. Trudeau était à Québec, a qualifié la demande des conservateurs d'«irresponsable».

En mêlée de presse, il a indiqué avoir demandé au sous-commissaire de la Gendarmerie royale du Canada pour la police fédérale, Mark Flynn, ce qu'il adviendrait s'il divulguait une liste de parlementaires ayant été identifiés dans des rapports de renseignement.

«(Il) m'a confirmé (...) que je serais immédiatement sujet à une enquête criminelle et une poursuite criminelle en conséquence», a-t-il dit en ajoutant que le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, David Vigneault, lui a réitéré que cela mettrait aussi en danger des employés de son organisation.

Dimanche, le leader parlementaire des conservateurs, Andrew Scheer, a diffusé sur les réseaux sociaux une lettre adressée à la commissaire Hogue ainsi qu'à M. LeBlanc ayant le même objectif de divulgation.

«Nous demandons qu’il soit demandé à la Commission Hogue d’émettre une conclusion de fait pour chaque cas (...) où un membre de la Chambre des communes ou du Sénat du Canada, ancien ou actuel, est présumé avoir sciemment participé à une ''ingérence étrangère'' (...) - et que ces personnes soient nommées dans un rapport présenté au Parlement au plus tard le 1er octobre 2024», peut-on lire.

L'équipe de la commissaire Marie-Josée Hogue n'a pas voulu répondre, lundi, aux questions de La Presse Canadienne portant tant sur la lettre de M. Scheer que sur la motion du Bloc québécois. Le porte-parole Michael Tansey a justifié ce choix en expliquant que la commission préférait attendre «le résultat du vote sur la motion du Bloc québécois (...) avant de déterminer si elle fera un commentaire à ce sujet».

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne

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