LA STATION DE RAVITAILLEMENT NAVALE NANISIVIK AURA UNE PORTéE LIMITéE, SELON DES EXPERTS

Le projet de station de ravitaillement Nanisivik, au Nunavut, était au cœur de la stratégie de défense du Grand Nord, mais des retards et des réductions de budget ont considérablement restreint son utilité, selon des experts. Ils y voient un autre exemple du manque de volonté politique de la part d'Ottawa dans la défense de l’Arctique.

Le projet a été annoncé en 2007 par le gouvernement Harper, qui souhaitait y bâtir une installation navale d’envergure, au coût de 258 millions de dollars.

Ce port, en eau profonde au nord de l’île de Baffin, aurait permis de ravitailler les navires qui transitent vers l’Arctique, en plus d’offrir un espace de vie pour le personnel militaire ou civil.

Dix-sept ans plus tard, le site n’est toujours pas opérationnel. Les travaux se poursuivent et devraient être terminés cette année, après neuf ans de retard. Les premiers navires, eux, y accosteront en 2025.

Un coup d'épée dans l’eau?

La portée du projet sera toutefois considérablement réduite.

Le budget de Nanisivik a été réduit de moitié, à 130 millions de dollars. Il permettra de ravitailler les navires qu’un seul mois par année. Les cuves de carburant ne seront pas chauffées pour permettre une utilisation en hiver.

Face à ces limitations, plusieurs experts mettent en doute l’utilité réelle de ce poste de ravitaillement dans la défense de l’Arctique.

C’est le cas notamment du professeur Rob Huebert du département de science politique à l’Université de Calgary.

Si quelque chose d'inattendu survient, et que soudainement tu dois déployer un navire, il ne faut pas qu’on se demande : d’accord, comment on fait pour le ravitailler?, explique le professeur.

Pour être efficaces dans la surveillance de l’Arctique, dit-il, les navires doivent avoir une multitude de points de ravitaillement qui sont accessibles à l’année.

C’est troublant, parce que c’était là le cœur de l’idée au départ, d’avoir la flexibilité de répondre à un événement imprévu, explique Rob Huebert.

C’est comme lorsqu’on conduit sur la route. Avoir plus de choix pour acheter de l’essence nous fait nous sentir plus en sécurité, ajoute-t-il.

Rob Huebert n’est pas le seul à arriver à ce constat.

L’ancien sénateur, Dennis Patterson, qui a suivi le dossier de près ces 15 dernières années, estime qu’il s’agit d’une occasion manquée pour le gouvernement.

Nanisivik n’inclut pas de piste d'atterrissage, pas d'infrastructure pour accueillir des militaires, donc ça ne permet pas de faire des changements de personnel nécessaires aux opérations de la marine, dénonce-t-il.

Un rapport de la vérificatrice générale, publié en 2022, montre lui aussi à quel point les réductions de budget ont miné l’utilité réelle de cette station de ravitaillement.

Pour le reste de la saison de navigation, le ravitaillement des navires continuera de dépendre d’options commerciales ou de la coopération d’alliés. La Marine est donc exposée au risque de ne pas pouvoir ravitailler ses navires où et quand elle en aura besoin, souligne à gros trait la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan.

Questionné à savoir si, dans sa forme actuelle, Nanisivik allait répondre aux besoins stratégiques du gouvernement, le ministre des Affaires du nord, Dan Vandal, est demeuré évasif.

C’est important que l’on continue de collaborer et de communiquer avec toutes les parties sur les enjeux majeurs dans le Nord et l’Arctique. C’est essentiel qu’on soit à l’écoute sur les préoccupations et les priorités des citoyens du Nord. On va toujours faire ça et s’assurer qu’ils sont impliqués dans nos décisions qu’on prend pour l’Arctique, a déclaré le ministre Vandal en entrevue.

Une question de volonté politique

Les nombreux retards et problèmes de construction du projet de Nanisivik seraient symptomatiques d’un manque d’intérêt de la part du gouvernement fédéral envers la défense du Nord, selon le professeur en gouvernance autochtone à l’Université du Yukon, Ken Coates.

C’est relativement une petite station de ravitaillement. Le fait que cela prenne autant de temps démontre le peu d’attention portée par le Canada envers l’Arctique en matière de défense et de planification stratégique, dit-il.

Les différents motifs mis de l’avant par Ottawa pour expliquer ces délais ne sont pas justifiables, d’après lui.

Les investissements dans l’Arctique ne sont pas une priorité pour le gouvernement. Ils mettent toujours de l’avant les dépassements de coût pour expliquer la lenteur des projets. On se retrouve alors sans les infrastructures dont nous avons besoin dans le Grand Nord. C’est un thème récurrent dans l’histoire canadienne, conclut le professeur Coates.

Nouvelle stratégie

Face à la nouvelle stratégie de défense de l’Arctique, qui prévoit des investissements de 73 milliards de dollars sur 20 ans, Ken Coates demeure sceptique.

Même s’il s’agit effectivement d’un pas dans la bonne direction selon lui, il est tout à fait possible qu’un prochain gouvernement modifie cette stratégie, comme cela a été souvent le cas dans les dernières décennies.

Ils ne dépensent pas l’argent cette année, ils projettent la dépense dans trois ou cinq ans, pour un autre gouvernement. [...] Je vais y croire quand je verrai de l’argent sur la table et des pelles dans le sol. Avant ça, ce n’est que la rhétorique superficielle nordique du Canada, affirme le professeur Coates.

Selon lui, les réductions budgétaires imposées au projet Nanisivik sont liées à ce phénomène, où les investissements au Nord fluctuent au rythme des gouvernements ou du contexte géopolitique mondial.

Avec les informations de Matisse Harvey

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