« MON AMI LE GOUVERNEUR! » : LE CANADA EN MISSION AU PAYS DE DONALD TRUMP

La mission économique « équipe Canada » du gouvernement Trudeau s’aventure en territoire rouge aux États-Unis. À l’approche de l’élection présidentielle de l’automne, le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l'Industrie, François-Philippe Champagne, a récemment visité le Nebraska pour recruter des alliés dans le camp républicain.

À Omaha, le ministre sort d’une réception avec des investisseurs, l’air victorieux. Pour les trois gouverneurs que j’ai rencontrés, j’ai trois numéros de cellulaire. À ce rythme-là, ça va bien, lance-t-il.

François-Philippe Champagne vient de passer la dernière heure avec le très conservateur gouverneur du Nebraska, Jim Pillen, premier agriculteur à accéder à ce poste.

Ce qu’on pourrait appeler la méthode Champagne a opéré.

J’ai dit au gouverneur : "Pourquoi vous ne venez pas à Saint-Tite? J'ai le plus grand festival western!" Puis, il m'a dit, avec ses bottes : "Ça m’intéresse!", raconte l’infatigable ministre.

À peine 40 minutes après leur première poignée de main, le ministre Champagne en était aux accolades avec le gouverneur républicain. Mon ami le gouverneur! pouvait-on l’entendre dire aux invités un peu plus tôt. Le ministre a beaucoup d’énergie, a ensuite déclaré le gouverneur Pillen, l’air un peu étourdi.

Cette visite fait partie d’un effort du gouvernement Trudeau pour resserrer les liens avec la communauté d’affaires et des élus au sein des États. Ottawa cherche à diversifier ses relations, au-delà du territoire démocrate. L’objectif : remplir le carnet de contacts d’alliés républicains qui pourraient jouer de leur influence en faveur des intérêts canadiens auprès d’une éventuelle administration Trump.

Le gouvernement Trudeau réactive ainsi une stratégie semblable à celle utilisée lors de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), devenu l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) sous l’administration Trump.

Au fil de ses visites chez les législateurs et des entreprises, le ministre rappelle que le Canada est la principale destination d’exportation de 35 États américains. Cela inclut le Nebraska, avec qui les échanges commerciaux dépassent 3 milliards de dollars par année. Marchandises agricoles, viandes animales, gaz naturel : les affaires sont bonnes avec cet État.

Le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Nebraska, Bryan E. Slone, n’a pas besoin d’être convaincu de la valeur du libre-échange. Le Canada fait un excellent travail pour nous, notre relation est immense! dit-il.

C’est un État agricole. Le Nebraska dépend beaucoup des exportations de produits agricoles, souligne Kevin Smith, professeur au département de science politique de l’Université Nebraska-Lincoln.

Malgré tout, le Canada se bat contre un sentiment de méfiance au sud de la frontière.

Les forces protectionnistes

En roulant le long de l’autoroute 80 près d’Omaha, une grange saute aux yeux. Une énorme affiche y est accrochée, sur laquelle le mot Trump apparaît en grosses lettres. La fermette est celle d’Alan Vogler, un irréductible partisan du 45e président américain. Il rêve de le voir revenir à la Maison-Blanche en novembre.

Donald Trump a fait énormément de bien au pays, déclare-t-il. Il n’est redevable à personne. Il a les intérêts du pays à cœur.

Le Nebraska vote rouge aux élections présidentielles depuis la fin des années 1960. Si la tradition était aux républicains modérés par le passé, les appuis à Donald Trump se sont consolidés dans l’État récemment.

L’aile Trump est en colère contre ce qu’elle appelle les républicains traditionnels, considérés comme trop centristes et prêts à faire des compromis, explique le professeur Kevin Smith.

Non loin de là, dans le comté de Sarpy, les partisans de Donald Trump ont pris le contrôle de l’association républicaine locale. Le nombre de participants aux réunions y est passé d’une trentaine à plus de 180.

Nous voyons le Parti démocrate aller de plus en plus à gauche, devenir de plus en plus radical et nous ne voulons pas vivre avec ça, explique le président de l’association, Michael Tiedeman.

Selon lui, l’enjeu de la sécurité à la frontière et de l’immigration irrégulière est en tête des préoccupations. C’est une invasion qui est en train de se produire dans notre pays. Si nous ne faisons pas notre part, votre frontière à vous aussi sera à risque, dit-il.

Le principal problème est à la frontière mexicaine, estime le militant Chris Lewis, mais le Canada doit aussi mener des actions plus musclées pour sécuriser sa frontière, croit-il. Le Canada doit avoir les mêmes politiques et se limiter à l’immigration légale, dit-il.

Au sujet du commerce, plusieurs militants sont nostalgiques de la recette Trump.

Il faut revenir à l’Amérique d'abord, dit la militante Gina Todero-Lewis. Trop d’argent s’en va vers les autres pays. J’entends qu’il y a beaucoup d’usines de voitures qui ne sont plus chez nous! s’étonne-t-elle.

Plusieurs sont d'accord avec l’idée de Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers de 10 % sur toutes les marchandises qui entrent aux États-Unis. Cette idée pourrait toutefois avoir des conséquences importantes sur le commerce avec le Canada. Ottawa a déjà goûté à cette médecine, quand Donald Trump a imposé des tarifs sur l’aluminium et l’acier canadiens, notamment.

L’argument de vente du Canada

Il y a des mythes, et ces mythes-là, il faut les défaire, déclare le ministre Champagne en entrevue, entre deux arrêts de sa tournée. Des barrières tarifaires feraient mal aux deux économies qui sont très intégrées, s’efforce-t-il de rappeler.

Certains biens traversent plusieurs fois la frontière avant d’être assemblés. Quand on impose un tarif au Canada, finalement, c'est les citoyens américains qui paient plus, expose François-Philippe Champagne.

S’inquiète-t-il d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche? Sa prudence reprend aussitôt le dessus. Du côté canadien, ce n’est pas à nous de prendre position d’un côté ou de l’autre, nuance-t-il. Ces dernières semaines, le ministre a pris soin d’établir des contacts avec d’anciens membres de l’administration Trump.

La révision de l’ACEUM, qui doit avoir lieu en 2026, pourrait être houleuse sous une administration Trump.

Le ministre a trouvé l’argument qui parvient à capter l’attention dans les cercles républicains : l’unité nord-américaine face à la Chine. François-Philippe Champagne insiste pour rappeler qu’il a ordonné à des firmes chinoises de se retirer de l’industrie des minéraux critiques au Canada. Le gouvernement canadien a aussi coupé le financement d’instituts de recherche liés à la Chine.

Il fait valoir que les deux pays ont tout à gagner à collaborer dans la filière des voitures électriques et des minéraux critiques pour faire compétition à Pékin. Les Américains ont publié une liste des minéraux critiques. Je leur dis : "Écoutez, les deux tiers sont au Canada!"

Le gouverneur du Nebraska, Jim Pillen, semble sortir de sa rencontre avec un intérêt renouvelé pour son voisin du nord. Nous sommes des partenaires commerciaux extraordinaires, dit-il.

Toutefois, les élans protectionnistes ne sont pas entièrement dissipés.

Interrogé sur le recours à des tarifs douaniers, le gouverneur les estime nécessaires quand le commerce devient inéquitable pour les États-Unis. Quand le commerce devient complètement dingue, que quelque chose ne va pas, c’est à ce moment-là qu’il faut commencer à parler de tarifs douaniers, pense-t-il. L’exception, pas la règle, nuance-t-il.

[Les États-Unis] ont fait des erreurs en matière de commerce ces 40 dernières années. Il faut en tirer des leçons, croit Jim Pillen.

Sur sa fermette, Alan Vogler ne craint pas de voir son pays se refermer sur lui-même. Les États-Unis ne vont que mieux s’en porter, dit-il, en référence à d’éventuels tarifs douaniers.

Son point de vue illustre tout le défi du gouvernement canadien, celui de cultiver une ouverture dans l’esprit des Américains pour leur voisin du nord.

Le ministre Champagne demeure optimiste pour l’avenir de la relation canado-américaine, même si les deux partenaires se tiennent un peu pour acquis.

C’est un peu comme un beau-frère et une belle-sœur. On ne les appelle pas toujours à leur fête, mais ils sont toujours là pour nous aider! déclare-t-il, jamais à court de formules.

On fait du commerce avec les Américains depuis 150 ans. Alors, moi, je mets toujours ça en perspective.

Avec la collaboration d’Andréanne Apablaza

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