LA COUR SUPéRIEURE AUTORISE L'ACTION COLLECTIVE CONTRE DES FABRICANTS D'OPIOïDES

MONTRÉAL — Un juge de la Cour supérieure du Québec vient d'autoriser une action collective contre 16 sociétés pharmaceutiques accusées d'avoir induit les consommateurs en erreur sur l'efficacité et les dangers des médicaments contenant des opioïdes.

La poursuite allègue que les pharmaceutiques savaient à quel point ces médicaments créaient une dépendance, mais ont délibérément dénaturé ces risques, conduisant les utilisateurs à devenir dépendants.

«Traditionnellement, les opioïdes étaient utilisés à des fins médicales de manière très limitée, a déclaré Margo Siminovitch, l'une des avocates à l'origine de la procédure. Ils étaient utilisés pour les soins palliatifs, par exemple en fin de vie, dans le traitement du cancer ou pour les douleurs aiguës postopératoires. 

«Et puis, au milieu des années 1990, un nouveau récit a émergé», dit-elle. Des sociétés pharmaceutiques moussaient l’utilisation d’opioïdes comme étant sûrs pour un large éventail de douleurs chroniques, allant des maux de tête aux douleurs lombaires et à la polyarthrite rhumatoïde, a soutenu l'avocate mardi dans une entrevue. 

«On a dit aux médecins que s'ils ne faisaient pas la promotion des opioïdes et ne les utilisaient pas pour leurs patients, ils ne leur rendraient pas service, et ça a littéralement décollé: c'est devenu une énorme industrie.»

Me Siminovitch souligne que le parcours du représentant dans l'action collective, Jean-François Bourassa, illustre parfaitement le drame de ces victimes. 

M. Bourassa, propriétaire d'une entreprise de toiture, s'est vu prescrire des opioïdes après être tombé au travail en 2005 et avoir subi de multiples fractures. Au cours de la décennie suivante, on lui a prescrit une gamme d'opioïdes, mais il affirme n'avoir jamais été prévenu par un médecin ou un pharmacien des risques, résume le juge Gary D.D. Morrison dans sa décision du 10 avril d'autoriser l'action collective.

En 2012, ajoute le juge Morrison, on prescrivait à M. Bourassa la «dose maximale», mais au cours des années suivantes, le médicament ne faisait plus effet. En 2017, le plaignant a demandé un traitement médical pour sa dépendance aux opioïdes; c'est à cette époque qu'il a découvert les dangers de ses médicaments. 

M. Bourassa a reçu un diagnostic de trouble lié à la consommation d'opioïdes et a suivi un traitement pour sa dépendance dans un hôpital de Montréal. Pourtant, après avoir quitté le programme, il a reçu une autre prescription d'opioïdes de son médecin, à une dose plus faible qu'auparavant. Il a donc été réadmis dans un programme de désintoxication pour toxicomanes en 2018.

Au tribunal, M. Bourassa a qualifié d'«enfer sur Terre» son expérience avec les opioïdes.

Entre 1996 et aujourd'hui

L'action collective inclut toute personne au Québec à qui les 16 sociétés pharmaceutiques défenderesses ont prescrit des médicaments opioïdes entre 1996 et aujourd’hui, et à qui on a par la suite diagnostiqué un trouble lié à l’usage d’opioïdes.

Les opioïdes qui ne sont pas inclus dans cette action collective sont l'OxyContin et l'OxyNEO, qui ont fait l'objet d'une action collective nationale distincte, depuis réglée, et ceux qui ont été exclusivement utilisés dans les hôpitaux. 

Plusieurs entreprises citées lors de la première proposition de poursuite, mais qui avaient des activités limitées au Québec, ont déjà réglé à l'amiable.

Me Siminovitch ne pouvait pas évaluer mardi combien de personnes pourraient être incluses dans l'action collective. Environ 15 % des résidents du Québec se voient prescrire des opioïdes chaque année, a-t-elle rappelé, ajoutant qu'entre 5 % et 10 % des utilisateurs d'opioïdes deviennent dépendants.

Les sociétés pharmaceutiques citées dans la poursuite se sont opposées à l’autorisation de cette action collective.

Elles ont plaidé que la poursuite traitait tous les opioïdes comme s'ils étaient identiques, qu'elle ne fournissait aucune preuve que tous les médicaments opioïdes créaient une dépendance, que les sociétés n'avaient pas fait de fausses déclarations sur leurs médicaments et que la poursuite proposée incluait des sociétés dont le représentant n'avait jamais consommé les médicaments.

Dans un communiqué envoyé par courriel, Sanofi Canada a déclaré mardi que la décision était «purement procédurale».

«Cette décision ne porte en aucun cas sur la responsabilité de Sanofi, qui est niée. Sanofi continuera à défendre cette cause», a déclaré le groupe, refusant de commenter davantage.

Sandoz Canada a déclaré qu'elle s'engage à mener ses activités avec intégrité. «Nous pensons que ces affirmations sont sans fondement et nous les contesterons vigoureusement», a soutenu la société dans un communiqué envoyé par courriel.

Teva Canada a déclaré qu'elle «soutenait l'utilisation sûre et appropriée des médicaments opioïdes sous la supervision de professionnels de la santé», mais a refusé de commenter davantage, tandis que Pfizer a refusé de commenter.

Aucune des autres sociétés citées dans la poursuite n'a répondu aux demandes de commentaires de La Presse Canadienne. Il s'agit des Laboratoires Abbott, Apotex, Bristol-Myers Squibb Canada, Ethypharm, Janssen, Laboratoire Atlas, Laboratoire Riva, Laboratoire Trianon, Pharmascience, Pro Doc, Purdue Pharma et Sun Pharma Canada.

Me Siminovitch a déclaré qu'elle et ses collègues attendaient de voir si les pharmaceutiques feraient appel de l'autorisation de poursuivre. Elle espère que certaines concluront un règlement à l'amiable, mais elle a ajouté qu'elle et ses collègues étaient prêts à aller en cour.

La poursuite demande 30 000 $ de dommages-intérêts pour chaque membre du groupe, plus des dommages-intérêts supplémentaires à déterminer sur une base individuelle, ainsi qu'un total de 25 millions $ de dommages-intérêts punitifs.

Le gouvernement du Québec s'est déjà joint à une autre action collective proposée par le gouvernement de la Colombie-Britannique contre des dizaines de fabricants d'opioïdes. Cette poursuite réclame des milliards de dollars pour les coûts des soins de santé liés à la crise des opioïdes.

Jacob Serebrin, La Presse Canadienne

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