TéMOINS «PLEIN DE MARDE»: «NON, JE NE M'EXCUSE PAS», DIT LE DéPUTé

OTTAWA — Le député libéral franco-ontarien Francis Drouin, qui a qualifié lundi deux témoins qui militent pour la protection du français au Québec de «plein de marde» et d'«extrémistes», refuse de s'excuser et n'accepte pas d'être pris «pour un con» en se faisant servir «un argument qui ne tient pas debout».

«Non, je ne m'excuse pas», a-t-il tranché en entrevue avec La Presse Canadienne mardi au lendemain de ses commentaires au comité permanent des langues officielles qui lui ont valu des reproches de toutes les formations politiques, y compris la sienne.

M. Drouin, qui avait retiré ses propos immédiatement après les avoir prononcés et qui reconnaît s'être «un petit peu trop embarqué hier là, je ne suis pas parfait», accepterait néanmoins de s'excuser «si la personne se sent blessée».

«Mais en même temps, il ne faut pas qu'on me prenne pour un con quand on vient au comité, a-t-il lancé. L’anglicisation, il faut être honnête, ce n'est pas McGill puis Dawson, la faute des gros méchants anglophones de Montréal que ça se passe. C'est un phénomène qui est international, ça se passe en France aussi.»

Tour à tour, Frédéric Lacroix et Nicolas Bourdon, respectivement chercheur indépendant et professeur membre du Regroupement pour le cégep français, avaient expliqué au comité que de fréquenter une université ou un cégep anglophone augmente significativement la probabilité de mener sa vie en anglais.

MM. Lacroix et Bourdon, deux témoins suggérés par le Bloc québécois, étaient invités à échanger avec les élus lors d'une étude portant sur le financement des institutions postsecondaires anglophones au Québec et francophones ailleurs au pays.

«Vous avez des propos qui sont pas mal extrémistes», leur avait d'abord envoyé le député Drouin. Le coup d'envoi était alors donné pour ce que le président de la séance, le libéral René Arsenault, décrira plus tard comme du «jamais vu» depuis qu'il siège au comité d'ordinaire bien plus collégial, en 2016.

Le chercheur Lacroix lui a répondu que Statistique Canada, «un organisme probablement extrémiste à vos yeux», a démontré que «les institutions bilingues avaient une très, très forte incidence sur l'anglicisation des francophones et des allophones au Québec».

M. Lacroix avait aussi signalé qu'une étude qu'il a menée conclut que la part du financement fédéral des universités anglophones du Québec – McGill, Concordia et Bishop – est environ quatre fois supérieure à leur poids démographique et qu'à l'inverse, les institutions francophones en reçoivent «nettement» moins.

«Plein de... mépris» des libéraux, dit le Bloc

La controverse s'est transportée à la Chambre des communes mardi après-midi, alors que le Bloc québécois y a consacré la quasi-totalité de ses questions.

Premier sur la patinoire, le chef Yves-François Blanchet a réclamé que le premier ministre Justin Trudeau suggère que son député, qui se permet «une injure aussi vulgaire», quitte la présidence internationale et canadienne de l'Assemblée des parlementaires de la francophonie.

«Je comprends que le Bloc continue d'essayer de chercher les chicanes. Des fois, ils réussissent à les avoir», lui a répliqué M. Trudeau, non sans avoir mentionné que son gouvernement défendra toujours la langue française.

Du tac au tac, le chef bloquiste a lancé qu'«il ne prend tellement pas la mesure du prix politique» d'une telle réponse, alors que «pour lui (M. Drouin), protéger le français est une position extrémiste».

«C'est une caution par le premier ministre lui-même et personnellement du mépris exprimé», a envoyé M. Blanchet.

Le porte-parole du Bloc en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, est plus tard revenu à la charge, trois fois plutôt qu'une.

«Pour les libéraux, si vous vous inquiétez de l'avenir du français au Québec, vous êtes des extrémistes et vous méritez les pires insultes, a-t-il dit. Alors, les gens qui se préoccupent du français au Québec, ils sont pleins d'une seule chose: plein de bon sens. C'est quoi le problème des libéraux avec l'avenir du français?»

Parmi les ministres - tous francophones - appelés à la rescousse, Mélanie Joly (Affaires étrangères) a demandé d'«arrêter de se crêper le chignon» sur la question du français. Elle a jugé que les élus peuvent être «très fiers» d'avoir un président canadien à la tête de l'association.

Pablo Rodriguez, le lieutenant de M. Trudeau pour le Québec, a renchéri que son collègue Drouin est «un fier francophone qui se tient debout pour (...) le français partout, alors que le Bloc québécois s'en fout complètement».

À son arrivée au parlement, le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin, a déploré les propos «inacceptables» de M. Drouin.

«Ce n’est pas à nous à engueuler les témoins qui sont venus très généreusement nous offrir leur savoir, a-t-il dit. Je pense que c'est un homme civilisé. Puis j'espère qu'il va s'excuser, qu’il va accepter l'appel aux excuses.»

La veille, son homologue du Nouveau Parti démocratique, Niki Ashton, a, comme d'autres, insisté sur l'importance que les parlementaires écoutent tous les points de vue, y compris lorsqu'ils sont en désaccord.

M. Drouin, qui se décrit comme un «ardent défenseur ontarien» de la Charte de la langue française du Québec, a affirmé mardi que les propos des deux témoins ne font pas «l'unanimité» au sein de la communauté des chercheurs et que ces derniers présentent des statistiques qui n'ont pas de lien de causalité.

«T’as ta famille, t'as ta femme, tu tombes en amour avec quelqu'un. Il y a plusieurs facteurs de la vie qui font que tu vas peut-être mener une vie en anglais ou une vie en français. C'est une statistique. Ça ne veut pas dire qu'il y a une corrélation entre ça», a-t-il plaidé.

Michel Saba, La Presse Canadienne

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