QUéBEC AUTORISERA LES DEMANDES ANTICIPéES D’AIDE MéDICALE à MOURIR DèS LE 30 OCTOBRE

Face au blocage d’Ottawa, qui refuse de modifier le Code criminel pour permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir, Québec a trouvé une voie de contournement pour les autoriser dès le 30 octobre prochain.

Suivant une orientation du ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé samedi qu’il prescrirait à ses procureurs de ne pas poursuivre les médecins et les infirmières praticiennes spécialisées qui prodigueront le soin ultime à la suite d’une demande anticipée.

C’était le souhait des Québécois et des Québécoises, s’est félicitée la ministre québécoise responsable de ce dossier, Sonia Bélanger, en entrevue à RDI, vantant une loi très rigoureuse, avec des balises importantes.

La demande anticipée était la seule disposition de sa loi destinée à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, adoptée il y a plus d’un an, qui n’était pas en vigueur.

Les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative qui laisse présager une dégradation de leurs capacités physiques et cognitives – comme l’alzheimer, notamment – pourront donc planifier quand et comment elles recevront l’aide médicale à mourir.

Le président de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD), le Dr Georges L’Espérance, a accueilli cette nouvelle avec un grand soulagement.

Jusqu’à présent, un patient atteint d’alzheimer peut obtenir l’aide médicale à mourir tant qu’il en est conscient et qu’il le demande, a-t-il aussi expliqué dans une entrevue accordée à RDI.

Si un patient demandait l’aide médicale à mourir alors qu’il avait encore la lucidité pour le faire, il risquait de perdre quelques mois, quelques années d’une vie encore intéressante avec ses proches.

C'est un dénouement inespéré pour Sandra Demontigny, qui, atteinte d'une forme précoce d'alzheimer, menait sur la place publique son combat pour avoir le droit de formuler une demande anticipée d'aide médicale à mourir. Je commençais à me dire que j’allais devoir m’organiser autrement, a-t-elle avoué en entrevue à RDI.

Nous, on va de l’avant

En 2021, une commission transpartisane s'était prononcée en faveur de l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Un an plus tard, le premier projet de loi à cet effet a été mis de côté en raison d’élections.

Un projet de loi concernant cet élargissement a finalement été adopté en juin 2023, mais le gouvernement québécois disposait de deux ans pour le mettre en œuvre.

Le temps filait pour les patients qui souhaitaient pouvoir faire une demande anticipée alors qu’il restait un dernier obstacle à franchir.

Pour que les demandes anticipées soient finalement permises, il fallait qu’Ottawa modifie le Code criminel, qui exige encore un consentement final éclairé du patient au moment de recevoir le soin ultime.

Toutefois, le gouvernement fédéral a tergiversé devant les demandes des ministres québécois Sonia Bélanger, déléguée à la Santé, Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice, et Jean-François Roberge, responsable des Relations canadiennes, qui exigeaient qu’une exception soit ajoutée au Code criminel pour le Québec.

L’écoute n’était pas là, a résumé Sonia Bélanger. Nous, on va de l’avant.

Dans un communiqué, le DPCP précise qu’il indiquera qu'il ne serait pas dans l'intérêt public d'autoriser le dépôt d'une poursuite criminelle en lien avec un décès survenu dans le contexte de l'aide médicale à mourir tant que ce soin a été prodigué dans le respect des volontés relatives aux soins exprimées de façon libre et éclairée.

Le directeur du DPCP, Patrick Michel, a déclaré que les procureurs n'interviendront que lorsqu'une enquête policière aura eu lieu ou qu'une plainte aura été déposée selon laquelle les souhaits d'une personne n'ont pas été respectés conformément à la loi, par exemple, si une personne avait été contrainte.

Interrogé sur la légalité de la décision de Québec, puisqu'Ottawa n'a toujours pas modifié le Code criminel, M. Michel a expliqué que les procureurs continueront d'appliquer la loi québécoise jusqu'à ce qu'Ottawa intervienne et prenne des mesures.

Ainsi, Québec contourne le dernier obstacle pour mettre un point final au feuilleton qui s’éternise depuis 2021 à ce sujet.

Me Patrick Martin-Ménard, avocat spécialisé en responsabilité médicale, estime que la balle est dans le camp d’Ottawa, qui a des devoirs à faire, que ce soit en modifiant le code criminel ou en adoptant une exception pour le Québec. Ce qu’on observe vraiment à ce stade-ci est une assise du gouvernement fédéral sur l'aide médicale à mourir.

Il peut certainement y avoir certains éléments de contestation. La problématique principale consiste en la contradiction existante entre le Code criminel et la loi provinciale qui peut faire en sorte que certains médecins soient inconfortables d’aller de l’avant, fait-il l'avocat du diable, ajoutant néanmoins que le gouvernement a pris la meilleure option pour faire entrer la loi en vigueur devant l’inaction d’Ottawa.

S'il y a un très fort consensus au Québec sur l’aide médicale à mourir, la réalité est peut-être un peu différente dans d’autres provinces, termine-t-il.

Une annonce bien accueillie

Le président de l’AQDMD a sincèrement remercié la ministre Sonia Bélanger, qui a mené ce combat jusqu’au bout, et le ministre Jolin-Barrette, qui a trouvé une voie de passage.

Par courriel, le Collège des médecins s’est dit favorable aux demandes anticipées par des personnes ayant reçu un diagnostic de maladie neurodégénérative et qui pourraient souffrir d’une perte d’aptitude à consentir plus tard à l’aide médicale à mourir.

Le président de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Luc Mathieu, a salué l'annonce de Québec dans une courte déclaration. Les demandes anticipées permettront certainement aux Québécoises et aux Québécois qui répondent aux conditions d'obtenir les soins qui leur permettront de rendre leur dernier souffle avec dignité, a-t-il écrit.

D'ici son entrée en vigueur, des [questions] demeurent à clarifier. Notre regard se tourne ainsi vers le gouvernement fédéral afin qu'il rejoigne rapidement le large consensus québécois.

Pour le Dr Georges L’Espérance, cette instruction au DPCP aura de quoi rassurer une bonne partie des médecins et des infirmières praticiennes spécialisées qui prodigueront l’aide médicale à mourir après une demande anticipée.

On se donne jusqu’au 30 octobre pour bien préparer les professionnels qui exercent les soins de fin de vie, a précisé Mme Bélanger. Elle a assuré que ces mesures sont en vigueur pour protéger nos professionnels, rappelant que le ministre de la Justice a émis une intention très claire.

Certaines réticences et interrogations

Des détracteurs de l'aide médical à mourir s'opposent néanmoins fermement à cette nouvelle disposition.

On ne peut pas parler de consentement éclairé quand quelqu’un est dans une situation où il ne peut pas s’exprimer , insiste le Dr. Paul Saba, cofondateur du Collectif des médecins contre l’euthanasie.

Le Dr. Saba reproche au gouvernement de « favoriser l'euthanasie » pour des raisons économiques, plutôt que d'investir dans les soins palliatifs.

De son côté, Nicole Poirier, fondatrice et directrice de la Maison Carpe Diem, située à Trois-Rivières, accueille la décision avec beaucoup de prudence.

Aujourd’hui, on a réussi à protéger les professionnels, mais comment va-t-on protéger les personnes qui vont être diagnostiquées, comment sera rempli le formulaire, comment seront accompagnées les personnes de confiance qui devront un jour enclencher le processus?, questionne-t-elle. Tant de questions qui demeurent sans réponse à l’heure actuelle.

On n’entend pas beaucoup parler des critères qui seront incontournables pour aller de l’avant. Par exemple, la souffrance intolérable et difficile à soulager sera-t-elle nécessaire?. Tant de critères difficiles à évaluer.

Mme Poirier insiste sur le fait que des membres d’une même famille sont rarement unanimes quand vient le temps de prendre des décisions du quotidien pour leurs proches. Même entre professionnels, nous ne sommes pas toujours du même avis sur la condition d’une personne qui n’est plus apte à prendre de décision , fait-elle ressortir.

Pas pour tout le monde

Cette nouvelle disposition ne permet pas à quiconque de planifier sa mort dans l’éventualité où une maladie lui ferait perdre ses capacités. Les demandes anticipées reposent sur le consentement de la personne et sur un diagnostic, a rappelé le Dr L’Espérance.

Au moment de formuler sa demande, la personne doit être apte à consentir aux soins et doit être atteinte d’une maladie grave et incurable, qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités, prescrit la Loi concernant les soins de fin de vie.

La personne doit être assistée par un professionnel compétent pour remplir son formulaire de demande anticipée.

Ils doivent y inscrire des manifestations cliniques qui sont médicalement reconnues comme pouvant être liées à la maladie dont la personne est atteinte.

Plusieurs personnes atteintes d’alzheimer fixent la limite au moment où elles ne reconnaîtront plus leurs enfants, par exemple.

Dans sa demande, la personne pourra désigner un tiers de confiance qui devra aviser un professionnel lorsqu’il considérera que les conditions décrites dans la demande anticipée sont atteintes.

Avant d’administrer l’aide médicale à mourir par demande anticipée, deux professionnels doivent confirmer que les conditions sont bien remplies.

Sauf si les symptômes comportementaux du patient incluent une résistance aux soins, tout refus de recevoir l’aide médicale à mourir manifesté par la personne doit être respecté et il ne peut d’aucune manière y être passé outre, peut-on lire dans la loi, que la demande soit anticipée ou non.

Avec les informations de La Presse canadienne

2024-09-07T16:23:31Z dg43tfdfdgfd