QUéBEC SOLIDAIRE FORTEMENT éBRANLé

Malgré les soubresauts internes des dernières semaines, peu de gens s’attendaient à voir Émilise Lessard-Therrien démissionner. Cinq mois à peine après son élection, la co-porte-parole féminine jette l’éponge, épuisée, mais surtout démotivée de ne pas avoir été davantage écoutée.

L’ancienne députée aurait pu quitter ses fonctions en toute discrétion, se contentant d’invoquer des problèmes de santé, mais elle a quand même senti le besoin de donner des détails sur les raisons de son départ. Son message est limpide : le parti n’en a que pour le co-porte-parole masculin, Gabriel Nadeau-Dubois.

J’ai cherché un petit espace sauvage pour semer de nouvelles idées [...]. J’y suis parfois arrivée, mais je m’y suis sentie bien seule et j’ai eu du mal à y trouver mon espace. Les différentes visions se sont entrechoquées, écrit-elle.

À l’interne, on souligne par contre que la co-porte-parole sortante ne s’est pas donné beaucoup de temps pour s’acclimater à ses nouvelles fonctions. Elle a été élue fin novembre, juste avant le congé des Fêtes, puis est tombée en congé maladie à la mi-mars. Le parti n’a eu que quelques semaines pour tenter de s’adapter, ce qui est bien peu quand on sait à quel point les structures de Québec solidaire sont lourdes.

Il faut dire que le choix d'Émilise Lessard-Therrien, qui n’a plus de siège à l’Assemblée nationale, a complexifié les choses. Dans un contexte budgétaire serré, il fallait trouver de l’argent pour lui payer un salaire et lui fournir les ressources nécessaires afin qu’elle puisse accomplir son travail. Durant la course de l’automne, Ruba Ghazal avait osé aborder la question de front, mais cela n’avait pas semblé vraiment ébranler les délégués.

Une extraparlementaire, ça m’inquiète, disait la députée de Mercier. Ça va être un défi supplémentaire de devoir libérer un montant d’argent. Les derniers événements auront confirmé sa prémonition.

Que reproche-t-on à GND?

Son message étant écrit en paraboles, on ne sait pas précisément ce qu'Émilise Lessard-Therrien reproche à son parti, ni à son vis-à-vis Gabriel Nadeau-Dubois. La principale intéressée dit s’être fait gronder ou culpabiliser pour des prises de parole sincères, sans élaborer. Elle dit aussi avoir tenté d’influencer le cadre de réflexion, mais n’offre pas d’exemple précis.

En coulisses, on murmure que ses projets étaient souvent vagues, à l’image de ses prises de position durant la campagne pour le poste de co-porte-parole. Ma plus grande priorité, c’est de nourrir le courage de l’action, avait-elle énoncé lors du seul débat officiel de la course, l’automne dernier.

Étayés ou pas, il n’en demeure pas moins que les reproches d’Émilise Lessard-Therrien feront très mal au parti et, plus particulièrement, à son chef parlementaire. La sortie de Catherine Dorion est encore fraîche à la mémoire de bien des membres. Pour la deuxième fois en quelques mois à peine, une femme bien en vue reproche à Gabriel Nadeau-Dubois d’en mener trop large et de n’en faire qu’à sa tête.

Le parti sans chef est en voie de devenir un parti où l’influence d’un seul homme est à la fois infiniment réelle et infiniment tabou, avait écrit l’ancienne députée, dans son ouvrage Les têtes brûlées. Je pouvais affronter toute la médiasphère de droite du Québec, mais pas notre leader à l’intérieur d’une institution qu’il tenait fermement dans son poing. L’ex-élue était, elle aussi, passée tout près du burn-out.

Catherine Dorion ne s’est d’ailleurs pas gênée pour souligner la parenté existant entre son témoignage et celui d'Émilise Lessard-Therrien. Ton départ est une défaite pour le parti, mais il est, en quelque sorte, une victoire pour la gauche, celle qui refuse elle aussi obstinément et catégoriquement de perdre le sens de nos idéaux de justice et de vraie démocratie, a-t-elle écrit à l’intention de son ancienne compagne d’armes, dans les médias sociaux.

L’automne dernier, Gabriel Nadeau-Dubois avait su convaincre les militants de lui renouveler leur confiance, malgré le tumulte causé par les révélations de Catherine Dorion. Plus de 90 % des délégués avaient alors renouvelé son mandat, mais les appuis dont il dispose pourraient se fragiliser. Dans tous les cas, son image ressort ternie des derniers événements.

Réforme à venir

Si besoin était, le départ d’Émilise Lessard-Therrien donne des arguments à ceux qui croient qu’il faut revoir en profondeur les façons de faire au sein de la formation politique. Les statuts, hérités de la fondation du parti, demeurent complexes et abscons. Seuls les initiés parviennent à s’y retrouver, ce qui peut freiner l’implication des membres. Savoir qui est responsable de quoi, et qui devrait avoir le dernier mot est aussi un défi.

Pour l’instant, personne ne semble vouloir remettre en cause l’élection de deux co-porte-parole. Si cette façon de faire fait l’originalité de Québec solidaire, elle est aussi source de tensions. Des ajustements pourraient s’imposer. Pour l’heure, tous ces événements ne sont certainement pas de nature à aider le parti à se sortir de la torpeur dans lequel il se trouve depuis les dernières élections.

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