SéCURITé NATIONALE : LA CLAUSE SUR LE SECRET NE VIOLE PAS LE PRIVILèGE PARLEMENTAIRE

La Cour d'appel de l'Ontario statue que les dispositions sur le secret dans la Loi sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement ne violent pas le privilège parlementaire des députés et des sénateurs. C'est donc une victoire pour le gouvernement du Canada, qui avait perdu une première manche devant un tribunal inférieur il y a deux ans.

Le gouvernement Trudeau a créé le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement en 2017 parce que le Canada était à la traîne en matière de surveillance publique de ses agences de renseignements et d'espionnage.

Ce comité est confronté à plusieurs défis comme l’influence étrangère en périodes électorales, les cyberattaques ou l'espionnage dans des laboratoires fédéraux au pays.

Le comité, auquel siègent trois sénateurs et huit députés, leur permet d'aborder, sans qu'ils ne soient inquiétés, des questions en matière de sécurité et d'en faire rapport au bureau du premier ministre une fois par an.

Ses membres peuvent donc parler librement de sujets sensibles et confidentiels sans craindre d'être poursuivis par le gouvernement ou un tribunal.

Leur adhésion est volontaire et ceux qui participent le font vraisemblablement en toute connaissance de la Loi et des limites imposées au privilège parlementaire.

Ils sont tenus d'obtenir les autorisations de sécurité nécessaires pour y siéger et de maintenir la confidentialité des informations mises à leur disposition.

Les dispositions relatives au secret du comité étaient toutefois telles que les députés et les sénateurs n'étaient pas couverts par le privilège parlementaire, un concept fondamental du système de Westminster qui leur accorde une immunité dans les débats parlementaires.

Un article controversé

C'est l'article 12 de la loi que contestait Ryan Alford, professeur de droit de l'Université Lakehead de Thunder Bay, dans le Nord de l'Ontario.

12 (1) Malgré toute autre règle de droit, les membres ou anciens membres du Comité ne peuvent invoquer l’immunité fondée sur les privilèges parlementaires dans le cadre d’une poursuite pour une violation du paragraphe 11(1) de la Loi sur la protection de l'information […] ou dans le cadre de toute autre instance découlant d’une communication interdite par ce paragraphe.

source : gouvernement du Canada

M. Alford soutenait que l'article 12 élimine la liberté d'expression et de débat au sein du Parlement dans la mesure où la substance de tout discours est considérée comme constituant une divulgation inappropriée d'informations sensibles en vertu de la loi.

Le droit à la liberté d'expression est absolu, fondamental pour la démocratie et il est protégé par la Charte, selon lui.

Il ne peut donc être abrogé ou limité, sauf au moyen d'une modification constitutionnelle en vertu de l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.

La Cour supérieure de l'Ontario lui avait donné raison en mai 2022, en statuant que le fait de limiter le privilège des parlementaires nécessitait effectivement un amendement constitutionnel.

Dans sa décision, le juge John Fregeau avait donc déclaré invalide l’article 12 de la loi.

Il avait statué que la restriction du privilège parlementaire […] dépasse la compétence constitutionnelle du Parlement […] et le pouvoir du Parlement de modifier la Constitution du Canada.

Le gouvernement fédéral avait alors interjeté appel de la décision devant le plus haut tribunal de l'Ontario. La cause avait été entendue en octobre 2023.

Ses avocats soutenaient que la Constitution autorise au contraire le Parlement à adopter des lois définissant la portée des privilèges parlementaires. Aucun amendement à la Constitution n’est donc requis selon eux.

Raisons de la Cour d'appel

Dans une décision qu'elle a rendue mercredi, la Cour d'appel a cassé le jugement du tribunal inférieur en statuant que le Parlement peut, dans l’exercice de son autorité législative plénière, limiter le droit à la liberté d’expression et de débat tel que prévu à l’art. 12 de la Loi.

Elle écrit que la législation peut d'un certain point de vue être considérée comme une tentative raisonnable de concilier des préoccupations légitimes et concurrentes en matière de surveillance et de confidentialité.

Elle rejette ainsi toute idée d'abus de pouvoir comme l'avançait M. Alford, qui se défendait seul dans cette cause.

Un amendement n’était donc pas nécessaire, selon elle. L'art. 12 de la Loi est intra vires [c'est-à-dire à l'intérieur des pouvoirs, NDLR] du Parlement fédéral, précise-t-elle.

La Cour d'appel ajoute que la loi interdit, certes, la divulgation de certaines informations spécifiques et qu'il n’est pas interdit de débattre de questions plus générales de sécurité nationale.

Le fait que certaines informations puissent être soumises à une obligation de non-divulgation ne signifie pas que le sujet auquel ces informations se rapportent ne peut pas faire l'objet de questions au Parlement ou dans un comité parlementaire, écrit la Cour d'appel.

En ce sens, des questions sur les pratiques et les politiques gouvernementales concernant des types d'activités spécifiques seraient tout à fait appropriées dans la mesure où ces questions ne divulguent aucun renseignement particulier.

Dans un courriel, M. Alford se dit déçu de la décision de la Cour d'appel. J'étudie la possibilité de demander l'autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême pour clarifier un enjeu important, écrit-il.

Il se dit néanmoins encouragé par le fait que le tribunal reconnaît le pouvoir des comités parlementaires d'exiger des agences de renseignements la production de documents relatifs à la sécurité nationale et par le fait qu'il note que la divulgation de tels documents satisfait aux obligations de la loi.

Le gouvernement fédéral, lui, n'a pas répondu à nos courriels avant la publication de cet article.

2024-04-24T22:48:45Z dg43tfdfdgfd