UN PONT à 2,7 MILLIARDS, VRAIMENT?

Le chiffre a de quoi donner des sueurs froides. Reconstruire le pont de l'île d'Orléans coûtera 2,7 milliards $, alors qu'on estimait initialement le coût du projet à quelque 400 millions $. Cette estimation date bien sûr d’une dizaine d’années, mais il s’agit toujours d’une infrastructure d’à peine deux kilomètres. Une seule voie de circulation automobile est prévue dans chacune des directions.

La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, reconnaît elle-même que le montant peut faire sursauter. Le gouvernement a envisagé de reprendre le processus du début, après avoir pris connaissance des soumissions reçues, mais il y a renoncé, car cela aurait entraîné trois années de délais additionnels.

Malgré son coût exorbitant, Québec ira donc de l’avant avec le projet, d’abord pour des raisons de sécurité. On ne peut pas faire l’économie d'un nouveau pont à l’île d'Orléans. C’est trop important et c’est trop vital pour les gens qui habitent sur l’île, a justifié la ministre.

On promet toutefois un sérieux ménage dans la façon de gérer les infrastructures. Geneviève Guilbault a déjà parlé de la création d’une agence des transports, dont la mission sera d’accélérer la réalisation des projets. Ses collègues Jonatan Julien et Sonia LeBel, responsables des Infrastructures et du Conseil du trésor, promettent quant à eux de revoir les règles d’attribution des contrats.

Il est vrai que les processus d’octroi des contrats se sont alourdis au fil des années, avec pour effet de décourager la participation de certaines entreprises. Soucieux des dépassements de coût, le gouvernement exige aussi des entreprises qu'elles assument toute une panoplie de risques, ce qui contribue à faire monter la facture. C'est sans compter les problèmes auxquels font présentement face l’ensemble des secteurs de l’économie, comme le manque de personnel et l’augmentation des coûts d’approvisionnement.

On va agir sur les leviers sur lesquels on a du contrôle comme gouvernement pour essayer de faire les choses autrement, a promis Geneviève Guilbault, évoquant des annonces à venir dans les prochaines semaines.

Un problème plus profond

Même en allégeant les façons de faire, le problème risque toutefois de perdurer. C’est que les projets d’infrastructures sont tout simplement trop nombreux. Depuis que la CAQ a pris le pouvoir, le Plan québécois des infrastructures est passé de 100 à 150 milliards de dollars sur un horizon de 10 ans, au moment même où la pénurie de main-d’œuvre s’aggravait.

Il faut ajouter à cela les grandes ambitions d’Hydro-Québec, la société d’État prévoyant des investissements qui pourraient atteindre 185 milliards $ dans son plan d’action 2035. Pas étonnant, dans le contexte, que nombre de projets d’écoles, d’hôpitaux et de routes coûtent plus cher que prévu.

Pour le président du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois, Louis Lévesque, il s’agit en bonne partie d’une question d’offre et de demande. L’industrie de la construction n’a pas une capacité infinie, a-t-il fait valoir, en entrevue au RDI.

Si on ne fait rien pour mieux prioriser les travaux, si on ne fait pas plus pour augmenter la capacité de l’industrie, et si on ne fait pas les choix difficiles de dire : il y a des choses qu’on ne pourra pas faire, il n’y a pas de fin visible à cette spirale inflationniste-là, parce que ce qu’on veut construire est plus gros que ce qu’on peut construire.

En d’autres mots, l’État se fait présentement concurrence à lui-même, ce qui contribue à l’augmentation des coûts. Il faudra, tôt ou tard, renoncer à certains projets.

Responsabilité politique

Lors des élections de 2014, François Legault avait mené, pour reprendre son expression, une anticampagne. Le chef de la CAQ promettait alors de couper dans les dépenses pour réduire le déficit. Limitant ses engagements électoraux au strict minimum, il avait même annoncé son intention de mettre de côté des projets déjà annoncés, s’il prenait le pouvoir.

J’ai fait une "anticampagne". C’était risqué de ne pas faire comme les autres partis et de ne pas promettre un peu partout dans les régions de nouvelles dépenses. On a décidé de vivre selon nos moyens, de faire un choix, le choix du courage, disait-il, aux derniers jours de la campagne.

Les choses ont bien changé depuis, comme en témoigne le plus récent budget du ministre des Finances, Eric Girard. Pour l’année financière en cours, le déficit québécois devrait atteindre les 11 milliards $, un record.

Au final, c’est au conseil des ministres qu’incombe la décision de construire ou non une infrastructure précise. Écarter des projets parce qu’on les juge trop coûteux est politiquement délicat, surtout quand on a beaucoup promis. Cela est particulièrement vrai dans la région de la Capitale-Nationale, où l’avenir du tramway et du troisième lien est déjà incertain. L'explosion du coût du pont de l’île d’Orléans n’aidera pas le gouvernement à honorer ses autres engagements.

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