CRAINTES ET ATTENTES AUTOUR DE LA PêCHE EXPLORATOIRE AU HOMARD

Pêches et Océans pourraient délivrer de nouveaux permis de pêche exploratoires dans les secteurs du versant nord de la Gaspésie dès 2025

La ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier, compte en partie sur l’abondance du homard et la sous-exploitation de certains secteurs pour soutenir les pêcheries allochtones et autochtones de la péninsule, malmenées par l’effondrement des stocks de crevettes et la disparition du flétan du Groenland.

J’ai bon espoir que le tout permettra de générer des opportunités économiques concrètes pour nos pêcheurs gaspésiens, et ce tout en faisant avancer l’important chemin vers la réconciliation! , peut-on d'ailleurs lire dans le communiqué annonçant les intentions du ministère. 

Le 10 mai dernier, la ministre Diane Lebouthillier avait fait une annonce semblable en annonçant la création de 25 permis de pêche exploratoire au homard sur la Côte-Nord.

C’est maintenant au tour de la Gaspésie.

Un permis de pêche exploratoire permet aux pêcheurs de colliger des données sur les prises tout en exploitant commercialement la ressource.

Généralement délivrés sur une base annuelle, ces permis sont renouvelables, selon l’abondance de la ressource dans chaque sous-zone. Ils sont non monnayés et soumis à un plan de collecte de données pour évaluer si la zone peut soutenir une pêche commerciale supplémentaire. Ils peuvent théoriquement être retirés, mais sinon, après un certain nombre d’années, les détenteurs de permis exploratoire obtiennent un permis de pêche commerciale.

À terme, le ministère devrait avoir une meilleure vision d’ensemble des stocks de homard dans la région.

Une nouvelle zone

Le MPO ajoute qu’il travaillera bientôt en étroite collaboration avec les Premières Nations et l’industrie en vue d’élaborer son plan de collecte de données et le mettre en œuvre.

L'ensemble de la zone 19 s’étend de Cap-Gaspé jusqu’à Cacouna.

Une dizaine de homardiers détiennent des permis de pêche commerciale dans les secteurs de Cap-Gaspé jusqu’aux environs de Mont-Louis. La pêche commerciale n’est pas autorisée dans les secteurs plus à l’ouest, mais Pêches et Océans a délivré l’an dernier quatre permis de pêche exploratoire dans les secteurs situés entre Rivière-à-Claude et l’est de la rivière Tartigou, dans le secteur de Matane.

Interrogé si des permis pouvaient être accordés à des pêcheurs dans des secteurs où il existe déjà une pêche commerciale ou à l’inverse dans des secteurs à l’ouest de Matane, où aucune pêche au homard n’est autorisée, le ministère répond que toutes les options sont sur la table.

Le directeur du Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG), O’Neil Cloutier, accueille la nouvelle avec prudence.Les intentions du ministère ont été communiquées aux pêcheurs en mars dernier lors d’une rencontre avec les membres de l’industrie.

M. Cloutier rapporte que la position de son Regroupement est que les permis de pêche exploratoire devraient être délivrés seulement pour la zone 19A1 qui ne compte pour l’instant que quatre permis exploratoires.

Il voit mal comment le ministère pourrait accorder des permis supplémentaires dans les secteurs de la zone 19 déjà exploités commercialement. Les deux ne vont pas ensemble. Pour bien comprendre, là où il y a des permis qui se transigent à plusieurs millions de dollars, on ne voudrait pas que le ministère ou que le gouvernement déstabilise le marché de l'offre et la demande.

Il donne l'exemple de deux pêcheurs viennent tout juste d’acheter des permis dans le secteur de Gaspé. Comment ça va fonctionner si le ministère donne des permis tandis que deux pêcheurs se sont vidé les poches pour acheter leur permis, demande M. Cloutier.

Il appelle à la prudence surtout, dit-il, qu’un exercice de rachat de 48 permis pour rationaliser l’effort de pêche et protéger la ressource vient toujours de se terminer en 2021.

Le permis exploratoire implique que certaines incertitudes demeurent autour de l'état des stocks.

La Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk exploite depuis deux ans trois des quatre permis exploratoires dans des secteurs situés entre Mont-Louis et Matane. Elle accueille favorablement cette ouverture de Pêches et Océans Canada.

Le directeur des pêches commerciales de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, Guy-Pascal Weiner, confirme que la présence de la ressource dans la zone 19A1 croît rapidement. Ce qui au début de la pêche expérimentale était pêché en une semaine, se pêche, cinq ans plus tard, en une seule journée, illustre M.Weiner.

Il souhaite que la ressource soit distribuée aux flottilles en difficulté. Il ne faudrait pas prétendre que la première nation va tout rafler, dit-il. Il rappelle par contre que les pêcheries autochtones ont aussi subi les contrecoups de la disparition du turbot et de la quasi-fermeture de la crevette nordique.

Des données manquantes

Il y a de la place pour d’autres permis, confirme M. Weiner. Il faut quand même y aller quand même prudemment dans les zones qui ont peu ou pas d'historique de pression de pêche commerciale.

Pendant cinq ans, lors de la pêche expérimentale, les pêcheurs de la communauté ont mesuré, pesé et sexé pour les homards pêchés. C'est une banque de données extrêmement importante au point que même statistiquement, c'est presque inutile d'en avoir mesuré autant.

Néanmoins, il estime que la pêche exploratoire en cours et celles qui pourraient s’ajouter pourraient aider à mieux déterminer la zone de distribution du homard qui semble s’étendre.

Guy-Pascal Weiner indique que sa communauté pourrait aussi vouloir explorer les secteurs à l’ouest de Matane. Métis-sur-Mer vraisemblablement jusqu'à Pointe-au-Père et peut-être même plus loin dans le territoire ancestral de la Première Nation. Il ajoute que les pêcheurs autochtones d’oursins dans le secteur de Trois-Pistoles voient de plus en plus de homards lors des plongées.

N'empêche qu'en Matanie, n'empêche qu'en Haute-Gaspésie, n'empêche qu'en Haute-Côte-Nord et peut-être même plus loin dans l’estuaire, on est dans l'inconnu, donc afin de quantifier et de qualifier cette population-là, il faut repartir à zéro, note M. Weiner.

D’autres données pourraient aussi servir à mieux comprendre le cycle de mue du homard. On croyait que la mue c'était à une fréquence donnée. Tout porte à croire que maintenant cette fréquence-là est vraisemblablement accélérée.

C’est aussi l’avis du directeur du RPPSG, O’Neil Cloutier. La région, dit-il, est dans une fin de cycle marquée par deux années exceptionnelles tant sur le plan des captures qu’au niveau du prix payé au débarquement.

Il croit lui aussi que le ministère devrait se pencher sur le cycle biologique du homard, soit le temps de croissance qu’il lui faut pour atteindre la taille minimale de la capture. C'est environ huit ans maintenant. C'était 10 ans avant les changements climatiques. Qu'est-ce qui s'est passé, par exemple, en Gaspésie, dans le dernier cycle biologique?

Ce qui se passe en Gaspésie devrait, selon lui, être comparé avec ce qui se passe dans d’autres régions, notamment en Nouvelle-Écosse, où les quantités capturées sont en décroissance.

Un marché fragile

Même si la zone de Rivière-à-Claude jusqu’à Matane fait environ 300 km de côtes, O’Neil Cloutier doute fortement qu’il y ait de la place pour toutes les flottilles dont la ressource est malmenée par les changements profonds qui ont cours dans le Saint-Laurent.

On n'a pas un problème de ressources dans la zone 19A1. On va avoir par contre un problème de marché sérieux. On va réclamer des discussions là-dessus, commente le représentant des homardiers gaspésiens, inquiet de la volatilité et de la fragilité du marché. Il rappelle qu’avant 2020, les prix offerts aux homardiers étaient plutôt bas.

Les homardiers de la Gaspésie ont touché 6,35 $ la livre, pour leur cinquième semaine de pêche, soit près de 2 $ de moins qu’au début de la saison. Les homardiers s’attendaient à une autre baisse à la veille d'entrer dans ce qui est habituellement les trois meilleures semaines de pêche.

Pour O’Neil Cloutier, cette baisse constante du prix au débarquement depuis le début de la saison est le reflet de l’abondance de la ressource dans les pêcheries du golfe à l’île du Cap-Breton, à l'île du Prince-Édouard et aux îles de la Madeleine. Surtout à Terre-Neuve où les pêcheurs habitués à capturer entre 3000 et 4000 livres sont maintenant rendus entre 25 000 et 30 000, mais ils sont 2400. En Gaspésie, on est 157.

On voit que la valeur décline quand même graduellement, mais assurément, confirme Guy-Pascal Weiner.

Le tableau de la situation de 2023 ne sera sûrement pas celui de 2024 ou de 2025. C'est en train de changer, observe M. Cloutier.

2024-06-11T11:08:08Z dg43tfdfdgfd