« EN VOITURE », MAIS LE TRAIN DE PASSAGERS DéMARRERA-T-IL EN ALBERTA?

Le gouvernement albertain a lancé la semaine dernière une nouvelle étude pour instaurer des trains passagers, notamment une ligne entre Edmonton et Calgary. Le cri de « en voiture » lancé par la première ministre Danielle Smith a toutefois un air de déjà-vu et des spécialistes du ferroviaire hésitent entre optimisme et scepticisme.

Il faut dire que les études sur l’instauration d’une ligne à grande vitesse entre Calgary et Edmonton remontent au milieu des années 1980. Le dernier voyage d’un train passager entre les deux villes, le Dayliner, était à peine terminé que l’Alberta envisageait déjà de le remplacer par un train plus rapide.

En 1986, 2004, 2008, 2010, 2014, 2020 : les rapports sur l’établissement de lignes ferroviaires pour les passagers se succèdent, mais sans être suivis d'une pelletée de terre.

Des études, c’est bien moins cher que réaliser le projet en tant que tel. Donc parfois, il y a un certain jeu politique qui se fait, explique Pierre Barrieau, chargé de cours en planification des transports à l’Université de Montréal et consultant à la firme Gris Orange.

Il est convaincu que le corridor entre Calgary et Edmonton est un des plus propices à l’établissement d’une ligne à grande vitesse au Canada. Une bande de terrain est déjà réservée au transport ferroviaire.

Une étude réalisée en 2014 (en anglais) déconseillait pourtant au gouvernement de s’engager dans le projet citant l’absence d’une population suffisante pour rendre la voie ferrée profitable.

Depuis, la population de la province a augmenté de 17 % et devrait dépasser les 5 millions en 2027.

Pierre Barrieau estime d'ailleurs que mesurer le nombre de passagers potentiels est une vaine tentative. L’État a failli dans son rôle, au Canada, d’offrir une alternative à la voiture. [...] La journée où l’État va donner une alternative, vous serez agréablement surpris de voir à quel point les gens vont changer, affirme-t-il.

Une autre étude, en 2008 (en anglais), évaluait ainsi les bénéfices pour les passagers d’un train entre Calgary et Edmonton de 4,6 milliards à 33,4 milliards de dollars en fonction de la vitesse du train.

Le rapport n’a toutefois été rendu public qu’un an plus tard, alors que l’économie albertaine se contractait.

La volonté politique comme dernier crampon

Le problème qu'on a ici, c'est vraiment une absence de prise de décision de l'État. Les études antérieures étaient déjà suffisantes pour dire : "on saute", estime Pierre Barrieau.

Cette volonté politique ne doit pas seulement être celle du gouvernement de l’heure, ajoute Ryan Katz-Rosene, professeur agrégé à l’Université d’Ottawa. Le plan ferroviaire de l’Alberta se déroule sur 15 ans.

C’est arrivé en Ontario. Le plan de train à grande vitesse avait été approuvé par le gouvernement de Kathleen Wynne. Le gouvernement Ford est arrivé et a décidé de ne pas soutenir le projet, rappelle-t-il.

Le changement politique a une énorme influence sur les dépenses en infrastructure, de même que les politiques économiques d’austérité.

Selon Ryan Katz-Rosene, les projets ferroviaires ont toujours échoué à cause de l'aversion des gouvernements à dépenser des milliards de dollars en infrastructure. En Alberta particulièrement, il note que le gouvernement du moment a toujours préféré déléguer le gros du travail au secteur privé et se focaliser sur un appui dans les consultations et la réglementation.

Des signes de changement

Le professeur voit toutefois des signes encourageants dans la dernière annonce de Danielle Smith. Le plan directeur inclut la mise en place d’une société d’État pour développer les infrastructures et gérer les activités ferroviaires.

C’est une rupture par rapport aux dernières décennies, remarque Ryan Katz-Rosene. C’était surprenant d’entendre la première ministre Smith dire : "Cela va coûter de l’argent et nous sommes prêts à le faire".

L’ampleur du plan directeur est aussi un point positif, ajoute Pierre Barrieau. L’annonce provinciale ne se focalise pas sur le lien entre Calgary et Edmonton, mais inclut aussi la possibilité de trains de banlieue et de transport ferroviaire vers les Rocheuses.

Habituellement, quand on décortique le réseau, c'est un bon signe parce que c'est que l'analyse est poussée.

C’est plus cher, c’est plus long et ça a plus de chances d’échouer, fait valoir Ryan Katz-Rosene.

Le professeur demeure donc le camp des sceptiques. Nous avons vu le même type d’annonces encore et encore partout au pays. [...] Je le croirais quand les trains seront construits.

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