L’emploi semble si bien se porter au Québec que le ralentissement économique annoncé pourrait se faire presque sans hausse du chômage. Il faut toutefois se méfier des apparences.
À première vue, le marché du travail québécois se porte à merveille, indique l’Institut du Québec (IdQ) dans son bilan de l’emploi pour 2022 dévoilé jeudi. L’économie a plus que retrouvé tous les emplois perdus durant la pandémie de COVID-19, le taux de chômage se maintient près de son creux historique et le salaire moyen est supérieur aujourd’hui à ce qu’il était avant la pandémie, même en tenant compte de la dernière poussée de fièvre inflationniste.
Avec 230 000 postes vacants, le pari des prévisionnistes est qu’en cas de stagnation économique ou même de légère récession, cette forte demande excédentaire va d’abord devoir fondre avant que les entreprises pensent à mettre à pied des employés. Le taux de chômage ne devrait, ainsi, même pas atteindre 5 % cette année.
Mais le ralentissement économique pourrait être plus sévère que prévu si l’inflation se révèle plus difficile à réduire que ne l’espéraient les banques centrales, les forçant à resserrer encore plus leurs politiques monétaires, ou si le contexte économique mondial nous réserve d’autres mauvaises surprises, note l’IdQ. Il n’est pas dit non plus que les entreprises ne décideront pas quand même de réduire leurs effectifs.
Et puis, observe le rapport de presque une quarantaine de pages, « les déplacements entre l’emploi, le chômage et la retraite sont de plus en plus fluides » aujourd’hui. Les employeurs pourraient négocier une baisse du nombre d’heures travaillées pour éviter des mises à pied. Des travailleurs plus âgés qui perdraient leur emploi pourraient aussi renoncer à revenir sur le marché du travail et prendre leur retraite. Dans ces cas, le taux de chômage n’augmenterait pas, mais les revenus des travailleurs et la capacité de l’économie québécoise n’en seraient pas moins réduits.
Déjà dans une situation de plein-emploi avant la pandémie, le Québec présente aujourd’hui un taux de chômage plus bas (4,1 %) ainsi qu’un taux d’activité (87 %) et un taux d’emploi (83 %) des 15 à 64 ans plus élevés qu’avant la COVID-19, mais aussi plus élevés qu’en Ontario ou qu’au Canada.
Supérieure à l’inflation depuis la crise financière et la récession de 2008-2009, l’augmentation du salaire moyen continue également de faire meilleure figure au Québec que dans le reste du Canada. De 31,87 $ en décembre dernier, le salaire horaire moyen réel était de 4 % supérieur à ce qu’il était en décembre 2019, même en tenant compte de l’envolée de l’inflation depuis 2021.
Cette bonne tenue des salaires reflète la position de force que la rareté de main-d’oeuvre confère aux travailleurs qui réclament des augmentations, mais pas seulement ça, explique l’IdQ. Elle découle aussi beaucoup de l’accélération de leur déplacement, depuis le début de la pandémie, des emplois dont les salaires horaires sont inférieurs à 20 $ (-40 % d’emplois) vers des emplois qui offrent entre 20 $ et 30 $ (+9 %), ou plus de 30 $ (+43 %).
Cette grande migration des trois dernières années a notamment profité aux secteurs des services professionnels, scientifiques et techniques (+39 400 emplois), de l’administration publique (+35 600), de l’enseignement (+34 900) et de la finance et de l’assurance (+34 100), alors que les secteurs du commerce de gros et de détail (-29 300), de l’hébergement et de la restauration (-30 700) ou du transport et de l’entreposage (-34 900) en ont fait les frais.
Cela est venu aggraver un problème de rareté de main-d’oeuvre déjà de plus en plus sévère avec le vieillissement de la population. C’est notamment le cas du côté des emplois peu qualifiés ne requérant aucune scolarité particulière, où le nombre de postes vacants a été multiplié par cinq depuis 2016. Or, le Québec compte désormais moins d’un chômeur par poste vacant, et la main-d’oeuvre disponible est généralement plus scolarisée que les postes à pourvoir ne l’exigent.
Au début de l’automne, par exemple, on comptait plus de 88 700 postes vacants où aucune scolarité minimale n’était requise pour 39 600 chômeurs correspondants et 31 500 postes vacants pour des emplois requérant un diplôme universitaire pour 42 800 chômeurs détenant un tel diplôme.
Ainsi, l’avenir s’annonce difficile pour le Québec en matière d’emploi, résume l’IdQ. Comme une plus forte proportion de sa population est déjà en emploi, on ne peut pas espérer y augmenter encore beaucoup l’offre. Pour compliquer les choses, ses principales industries tendent, proportionnellement, à avoir besoin de plus de main-d’oeuvre, le nombre d’heures travaillées par emploi y est moindre et la productivité du travail y est plus faible qu’ailleurs au Canada, à telle enseigne qu’il y faut, en moyenne, 17 % plus de travailleurs pour produire la même richesse qu’en Ontario.
Dans ce contexte, le Québec ne devra, à court terme, épargner aucun effort pour augmenter l’offre de main-d’oeuvre en haussant la rétention des travailleurs plus âgés, en réduisant la hausse de l’absentéisme héritée de la pandémie ou en recourant à l’immigration temporaire, qui a quand même déjà doublé depuis 2018, pour atteindre un total de 111 600 travailleurs, constate l’IdQ. « Toutefois, ces mesures ne pourront suffire à inverser la tendance. La meilleure solution pour pallier les pénuries de main-d’oeuvre demeure un accroissement de la productivité », notamment par l’automatisation.
Le fait que le niveau d’éducation des travailleurs québécois va en augmentant aidera à faire ces changements. Raison de plus pour redoubler d’énergie afin de combattre le décrochage scolaire et prendre garde à ce que la forte demande de main-d’oeuvre actuelle ne vienne pas exacerber le problème.
Le défi à relever sera plus difficile pour certains, constate l’IdQ. Ce sera alors aux gouvernements d’estimer jusqu’où ils seront prêts à aller « pour maintenir certaines productions au Québec, assurer la vitalité de nos régions ou encore favoriser l’attractivité de nos centres-villes ».
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