L’ACHAT LOCAL, UNE PARTIE DE LA SOLUTION à LA CRISE EN AGRICULTURE?

À la Ferme de la berceuse, à Wickham, dans le Centre-du-Québec, des travailleurs déroulent un grillage et un autre y installe des plants de laitue; les légumes passeront la nuit dehors, pour les « stresser », avant d’être plantés dans les champs, explique Robin Fortin, cheveux blancs et sourire franc, qui cultive sa terre depuis plus de 25 ans.

Déjà, laitues et mescluns arborent de larges feuilles, alors que la taille des tomates ou des plants de gingembre est encore modeste.

Une quarantaine de variétés de légumes biologiques sont cultivées sur les quelque 35 hectares de la ferme. Les récoltes se retrouveront dans des paniers ou seront vendues dans un marché public.

Pour le producteur, vendre en circuit court change la donne. Nos plans de champs sont plus faciles à faire, parce qu’on connaît approximativement les volumes dont on a besoin, explique-t-il.

Ma production est vendue à 80 % en ce moment, dit M. Fortin. Là, ça va dépendre de la météo et de la qualité de notre travail. Ça va demander beaucoup de rigueur.

Le circuit court, une partie de la solution?

La Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), qui représente 150 producteurs agricoles, estime qu'un recours accru à l’achat local pourrait être une solution à la crise actuelle dans le milieu agricole.

Plusieurs fermes ne sont pas au sommet de leur capacité dans leurs champs parce qu’il y a de l’incertitude sur les ventes.

Ça, pour moi, c’est une tragédie, parce que c’est notre garde-manger qui diminue sa capacité chaque année. On ne peut pas laisser aller ça, alors que clairement, on a des besoins en approvisionnement, affirme la directrice générale de la CAPÉ, Émilie Viau-Drouin.

L’approvisionnement institutionnel, c’est probablement le plus grand projet qui continue d’être difficile à démarrer et à pérenniser, explique Mme Viau-Drouin.

Si plus d’hôpitaux et de CHSLD achetaient en circuit court, cela pourrait transformer la vie de producteurs, selon elle, puisqu'une partie de leurs ventes serait assurée en garantissant une certaine quantité.

L’organisme estime que de bonifier la Stratégie nationale d’achat québécois (SNAAQ) pourrait être une façon d’aider le milieu agricole. Si ce plan gouvernemental a donné un élan à l’achat local dans les institutions, les cibles ne sont pas contraignantes, un aspect souligné par plusieurs intervenants dans le domaine.

L’achat local comporte des avantages pour les clients aussi, selon Robin Fortin.

Si vous achetez 40 caisses de laitues qui partent de la Californie, elles se promènent en camion, se baladent en autobus, traînent chez le distributeur et s’en vont à l’hôpital. La laitue, il faut alors se dépêcher de la manger parce qu’elle ne se conserve pas longtemps, explique-t-il.

Ici, quand le CHU commande 25 caisses de laitues, le processus ne prend même pas 24 heures. Elles sont récoltées, elles entrent au CHU, donc il y a zéro perte, soutient le producteur.

Du champ à l’assiette

Le CHU en question, c’est le CHU Sainte-Justine, où une partie des légumes cultivés dans les champs de la Ferme de la berceuse passent entre les mains de cuisiniers et de chefs qui préparent les plats pour les patients, petits ou grands.

D’un pas énergique, la nutritionniste et coordonnatrice des services alimentaires Josée Lavoie nous guide dans les cuisines en saluant tout le monde.

Ici, 65 % de ce qui se trouve dans les assiettes, ce sont des aliments biologiques, surtout locaux. Ce n’est pas un hasard : c’était l’ambition de l’hôpital, il y a six ans, de s’approvisionner dans les circuits courts, donc directement chez les agriculteurs.

Notre première étape, ça a été de se trouver un agriculteur, explique la nutritionniste, ce qui a été le point de départ pour acheter davantage d’aliments locaux.

Au début, on n’était pas des clients sympathiques pour l’agriculteur, parce qu'on voulait acheter à un prix, et c’était non négociable. Mais on a compris que ce n’est pas ça, la réalité de l’agriculture, explique Josée Lavoie.

Elle évoque souvent son agriculteur, en parlant de Robin Fortin. Un lien fort semble s’être tissé entre l’institution et le cultivateur.

Il y a eu des adaptations : menus faits en fonction des récoltes, changements dans la préparation des aliments. Mais du local, il pourrait y en avoir plus.

Le défi, c’est toujours les contrats, et ça va rester ça. Si le ministère nous permettait de dire : "OK, vous pouvez avoir 30 % de vos achats alimentaires qui ne sont pas sous la tutelle des regroupements d’achats", ça aiderait les organisations, fait valoir Mme Lavoie.

En ce moment, les grandes institutions, comme les hôpitaux, doivent suivre des règles établies par le Conseil du Trésor qui encadrent les achats qu'elles peuvent effectuer.

Les contrats ne permettent pas, par exemple, de privilégier les aliments locaux. Ce sont les prix qui dictent quels produits seront commandés.

Quant au prix, la nutritionniste estime que le virage vers les circuits courts a permis de réduire les coûts à certains endroits, mais que d’autres produits sont plus chers. Dans l’ensemble, elle soutient que ce n’est pas plus coûteux.

L’année passée, on a changé notre mayonnaise. On économise 10 000 $ juste en passant de la mayonnaise commerciale à la mayonnaise locale. Donc, ce n’est pas vrai que local, c’est toujours plus cher, fait valoir Josée Lavoie.

Autre obstacle à l’achat local : la logistique. Pour l’heure, il existe peu de ressources qui permettent aux institutions de trouver des producteurs pour combler leurs besoins.

Au CHU Sainte-Justine, Josée Lavoie concède que l’achat local, c’est effectivement plus de travail, plus de facturation et plus de bons de commande.

Avant, j’avais 20 ou 25 entreprises qui m’envoyaient de la nourriture. En ce moment, je suis autour de 40, note-t-elle, ce qui veut dire plus de camions de distribution et plus de boulot pour son acheteur. Mais cela en vaut largement la peine, selon Josée Lavoie.

2024-05-10T08:06:55Z dg43tfdfdgfd