La course aux mégawatts d’éolien au Québec ne mobilise pas que le secteur privé. Les MRC veulent leur part des bénéfices du vent et se préparent activement au prochain appel d’offres d’Hydro-Québec. Un empressement qui pose toutefois des questions sur la consultation des populations touchées.
« Les gens doivent se préparer rapidement », lance Michel Lagacé, président de la Commission de l’énergie et des ressources naturelles de la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Ardent défenseur de la participation des régions aux projets éoliens, le préfet de la MRC de Rivière-du-Loup souligne que les parcs éoliens Roncevaux et Nicolas-Rioux donnent à la Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent « 13,5 millions en bénéfices et en redevances par année ».
« Quand les décrets sont annoncés, il faut aller à la rencontre des promoteurs privés et leur faire part de notre intérêt à nous associer avec eux », dit-il.
Le gouvernement du Québec doit sous peu lancer un nouvel appel d’offres pour combler 4000 mégawatts avec de l’énergie éolienne, et la FQM compte faire en sorte que ses membres ne manquent pas le bateau. Le regroupement municipal a même créé un « bureau d’expertise » en éolien pour accompagner des MRC qui souhaitent participer. Aide à la négociation, conseils juridiques, tout est là pour créer des conditions gagnantes.
La FQM aurait voulu que davantage de MRC participent au dernier appel d’offres de 2021-2022 en éolien (300 MW) et énergies renouvelables (480 MW). Vingt-quatre MRC ont soumis des projets, mais la majorité étaient déjà impliquées dans la filière éolienne avant cela, déplore l’organisme.
« Les communautés qui n’étaient pas déjà organisées ont eu peu de temps pour mettre en place l’ensemble des conditions qui leur permettraient de négocier et d’éventuellement participer, avec les producteurs privés, aux appels d’offres », déplore le regroupement dans un document de novembre 2022 sur les constats des premiers appels d’offres.
C’est dans ce contexte que sur les 87 MRC que compte le Québec, une vingtaine ont conclu des contrats avec le bureau d’expertise de la FQM. Pour ces dernières, ces projets viennent avec la promesse de nouvelles sources de revenus alléchantes, signale M. Lagacé. « Les villes veulent, depuis plusieurs années, aller chercher des leviers financiers autrement que par la taxation foncière. Devenir partenaire avec des entreprises éoliennes, aller chercher des bénéfices, c’est clair que ça a un impact immédiat sur les finances municipales. »
La MRC du Fjord, au Lac-Saint-Jean, travaille avec le bureau d’expertise depuis plusieurs mois. « L’éolien, ça nous intéresse beaucoup, explique le préfet Gérald Savard. On a fait des études de vents du côté des monts Valin, du côté du Bas-Saguenay aussi. Il y a des possibilités avec des opérateurs. »
La MRC des Sources, en Estrie, fait aussi partie des candidates. Située dans le nord de l’Estrie, la MRC des Sources a comme chef-lieu la municipalité de Val-des-Sources (anciennement Asbestos). Elle compte de nombreuses terres agricoles et s’est positionnée comme un modèle de développement durable.
Le 25 janvier, le conseil des maires a adopté une résolution pour requérir les services du Bureau d’expertise en éolien de la FQM.
La démarche ne fait toutefois pas l’unanimité chez les élus. Le maire de Sainte-Camille, Philippe Pagé, juge que la MRC a procédé beaucoup trop vite et que la population aurait dû être consultée au préalable. « On a eu une semaine pour décider si on concluait une entente avec la FQM alors qu’on n’avait jamais discuté de développement éolien sur notre territoire auparavant. »
Le maire, qui était candidat de Québec solidaire aux dernières élections, signale que les élus ont été avisés le 18 janvier qu’ils allaient devoir voter là-dessus lors de la séance du 25. « Ça va trop vite. Au contraire, on risque de braquer les gens plutôt que d’en faire des partenaires. Je ne veux pas faire le procès de l’éolien, mais plutôt [remettre en question] notre façon de prendre des décisions. »
Après le vote, le maire a dénoncé la situation dans les médias locaux, puis, lundi, le conseil de Sainte-Camille a adopté une résolution pour officialiser ses critiques. Philippe Pagé se questionne sur la pertinence de débattre de ces questions à l’échelle des MRC. « Les MRC, c’est un palier de gouvernance qui est quand même loin des gens. »
Les MRC sont des regroupements régionaux de municipalités en milieu rural. La plupart sont dirigées par un préfet choisi parmi les maires des villes membres. Ils se réunissent au moins une fois tous les deux mois et leurs responsabilités touchent à l’aménagement du territoire, au développement économique et aux équipements partagés.
« Passer par les MRC pour gérer ces projets-là, ce n’est pas nécessairement la meilleure façon de faciliter la vie à ceux qui veulent suivre ces dossiers-là, avance le maire de Sainte-Camille. Je ne connais vraiment pas beaucoup de monde qui suivent ce qui se passe dans leur MRC au point de lire les procès-verbaux, de consulter les ordres du jour et d’être présents sur place [aux réunions]. »
Invité à réagir à cette sortie, le préfet de la MRC et maire de Val-des-Sources, Hugues Grimard, n’a pas voulu s’entretenir avec Le Devoir. En entrevue à Radio-Canada Estrie au lendemain du vote, il avait dit « qu’il n’était pas nécessaire de consulter la population à ce stade du projet », selon lui. « Ce n’est pas une fin en soi. C’est le début d’un processus. Il va y avoir des soirées d’information citoyennes d’organisées lorsqu’on aura la connaissance. Pour moi, je veux être capable de répondre aux questions que les gens vont me poser. Présentement, je n’ai aucune connaissance de ce dossier. »
Pour la consultante en acceptabilité sociale Marie-Ève Maillé, les MRC devraient faire preuve de prudence en ces matières. « La méthode habituelle de “décider, annoncer, défendre”, elle ne marche pas. C’est un risque que les décideurs et les promoteurs prennent. Ça peut susciter une levée de boucliers et, une fois que les boucliers sont levés, c’est très difficile de les rabattre. »
Mme Maillé a fait son doctorat sur les enjeux d’acceptabilité sociale posés par le projet Éoliennes de l’Érable dans le Centre-du-Québec, il y a dix ans. Les projets d’éoliennes sont particulièrement à risque, mentionne-t-elle aussi. « Il faut avoir en tête l’impact sur le paysage, l’empiètement sur le territoire agricole… »
Mais paradoxalement, même si la MRC avait voulu consulter sa population en amont, elle n’aurait pas pu le faire en raison des délais imposés par Hydro-Québec, concède la consultante.
Selon Mme Maillé, il faudrait carrément revoir la formule d’appel d’offres actuelle, car elle « n’incite pas à informer et à consulter les communautés en amont, deux étapes qui demandent du temps et qui coûtent cher, puisque le projet n’est pas sûr », poursuit-elle. « Comme si les décideurs se disaient : “On va voir si on est retenu et après, on verra ce que la population en pense”, mais à ce moment-là, le projet est sélectionné par Hydro-Québec, ça devient difficile de faire marche arrière si les communautés d’accueil n’en veulent pas. »
Le préfet de la MRC du Fjord n’est pas de cet avis. « Chaque fois qu’il y a un grand projet au Québec, que ce soit une mine ou autre chose, il y a un BAPE. C’est là que ça se passe, avance M. Savard. Avant d’aller consulter, il faut documenter. On a besoin de connaissances sur ce qu’on est capable de faire. Il faut être préparé pour le présenter. »
Questionné à ce sujet, Michel Lagacé répond qu’il y aura encore moins d’acceptabilité sociale si les MRC ne participent pas du tout aux projets. « On consulte déjà nos populations en lien avec les schémas d’aménagement. Avec les modifications aux changements de zonage, les populations sont consultées sous plusieurs angles par rapport aux projets qui peuvent avoir lieu dans nos MRC. »
La FQM demande d’ailleurs au gouvernement d’exiger que les MRC soient partenaires dans ces futurs appels d’offres en éolien. « Pour assurer le développement de la filière énergétique au Québec, le gouvernement doit rendre obligatoire la participation du milieu local dans l’ensemble des projets d’énergie renouvelable », soutient l’organisme dans son mémoire de novembre 2022.
Questionnée à ce sujet, la société d’État fait remarquer que dans le dernier appel d’offres en énergie renouvelable, les promoteurs qui avaient l’appui du milieu recevaient déjà des points supplémentaires.
Le dernier appel d’offres en éolien, qui devait être lancé en décembre, a été reporté par le gouvernement en prévision du lancement d’un nouvel appel d’offres, qui serait imminent. Hydro-Québec affirme toujours viser un lancement en début d’année 2023. Puisqu’elle donne généralement six mois aux candidats pour soumettre leurs projets, on peut présumer que le dépôt des projets sera requis au cours de l’été.
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