LES RéGIONS SONT-ELLES VRAIMENT PLUS RACISTES?

Michèle Vatz-Laaroussi a choisi il y a 30 ans de quitter sa France natale pour venir enseigner en Estrie et y étudier les relations interculturelles en région. Aujourd’hui professeure émérite de l’Université de Sherbrooke à la retraite, elle continue de s’investir pour décortiquer l’intolérance et tricoter le vivre-ensemble partout sur le territoire québécois. Entrevue.

Comment s’assurer que les immigrants qui choisissent de s’établir en dehors des grands centres finissent par s’enraciner ?

Ils vont mieux s’intégrer dans les petites ou moyennes villes comparativement aux très petits villages. Il faut qu’il y ait un petit réseau ethnique ou culturel dans lequel ils peuvent un peu se retrouver. Il faut qu’ils aient la chance de parler leur langue d’origine de temps en temps ou qu’ils aient accès à un lieu de culte, si besoin, qui ne soit pas trop loin.

Par exemple, il y a eu pas mal d’Argentins et de Brésiliens qui sont venus à Sherbrooke. Ils ont fonctionné en réseau et ç’a été très efficace pour la régionalisation de l’immigration. Souvent, ils accueillaient les nouveaux chez eux, ils les aidaient à trouver un logement, etc. Ils n’étaient pas payés par le gouvernement pour faire ça. C’était dans leur propre réseau.

Plusieurs de ces Brésiliens, à un moment donné, sont partis s’installer à Québec parce qu’ils avaient décroché des emplois dans les ministères. Par contre, ils avaient vécu plusieurs années ici et ils avaient vraiment créé un lien d’attachement. Ceux qui avaient envie de revenir, c’étaient ceux qui avaient réussi à acheter une maison. Quand on est immigrant, peut-être encore plus que quand on est natif, la maison, c’est un enracinement.

Ça semble être un préjugé, mais y a-t-il plus de racisme en région ?

Il y a du racisme en région et il y en a à Montréal. Il y en a aussi à Québec. Il y en a dans tous les pays et dans tous les domaines.

On pourrait dire que, peut-être, si on est moins exposé en région à la diversité, aux minorités visibles dans la vie quotidienne, il va y avoir plus de micro-agressions que dans les grandes villes, où on est plus familier avec les différences. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas dans les grandes villes, loin de là. Toutes ces micro-agressions sont pénibles à vivre par les gens des communautés. Ils ne réagissent pas tout de suite, parce que, bon, ils ne peuvent pas réagir tout le temps. Mais ils peuvent se faire demander sans arrêt d’où ils viennent, et parfois aussi se faire dire des choses plus graves, comme « retourne chez toi si tu n’es pas content ». Ce n’est pas un racisme ouvert où on va dire : « Non, lui, il est Africain, on n’en veut pas. » Mais, en regardant le nom, on va scruter son CV sous un autre oeil, par exemple.

Comment faire pour que ce soit gagnant-gagnant à la fois pour les régions et pour les immigrants ?

Les immigrants ont des projets de vie. Même les réfugiés, ils ont un projet en arrivant. Ils veulent mener une meilleure vie, pour eux, pour leurs enfants, etc. On ne peut pas supposer qu’ils vont s’intégrer et puis participer à notre projet. Non. La réponse, c’est comment on peut avoir des projets communs en tenant compte des projets des uns et des autres.

L’information, aussi, c’est très important. Il faut que circule la bonne information, pour ne pas donner une vision idyllique de la région. On a tendance à donner un portrait pour des touristes. La qualité de vie, ça ne se mange pas en salade. Si les gens arrivent et qu’ils n’arrivent pas à trouver leur place, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan social, même s’il y a une belle qualité de vie, ils n’en profiteront pas. Il faut donner une vision la plus réaliste possible de la région.

Les travailleurs temporaires forment la nouvelle grande cohorte d’immigrants au Québec. Qu’est-ce qui pourrait être amélioré pour eux, et pour la société d’accueil ?

Les travailleurs temporaires ont des besoins en matière d’accueil et d’intégration. Ils ne sont pas juste là pour travailler. Ils vivent ici. Si on veut que ça se passe bien et que, dans la population locale, ça se passe bien aussi, il faut qu’on les considère comme les autres, qu’ils aient les mêmes droits au travers des différents programmes. Que ce soit la francisation pour eux ou leurs conjoints, que ce soit l’accès à des organismes, à de l’aide, à du soutien, etc. C’est vraiment majeur.

Sinon, si on continue à les considérer comme à part en se disant qu’ils vont repartir et que ce n’est pas grave, on va avoir un scénario comme en France. Pendant longtemps, on avait une force de travail qu’on pensait temporaire, qui est restée après, mais qui n’a jamais pu s’intégrer. Ça crée aujourd’hui des divisions vraiment difficiles.

Quel avenir pour l’immigration en région ?

Prenez mes enfants en exemple. Ils ne sont pas nés ici, mais ils sont arrivés très petits. Ils ont donc vécu et grandi à Sherbrooke. Ils sont maintenant deux à Montréal et une à Dégelis [dans le Bas-Saint-Laurent]. Je pense qu’on est à peu près dans la même mouture que les gens d’ici. Ceux qui sont à Montréal n’y resteront peut-être pas, je n’en sais rien. Mais les immigrants sont comme les autres. À la deuxième génération, ils sont des Québécois, donc ils vont faire comme les autres Québécois. Alors, si les Québécois quittent les régions pour aller à Montréal à un moment donné de leur vie, ils vont le faire aussi. S’il y a un mouvement de retour vers les régions, ils vont le suivre aussi. Ils vont suivre la même trajectoire.

Cet entretien a été édité par souci de clarté et de concision.

Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.

2024-04-18T04:13:15Z dg43tfdfdgfd