MANIFESTATIONS éTUDIANTES PRO-GAZA : « AUX ÉTATS-UNIS COMME AU CANADA, UN MêME COMBAT »

Un calme tendu prévaut sur les campus universitaires montréalais, contrastant avec la vive colère qui secoue les prestigieuses universités de l'autre côté de la frontière.

Cette colère s’est surtout intensifiée cette semaine après l’arrestation de centaines d’étudiants de plusieurs universités, dont Columbia, Yale et New York (NYU), à la demande des dirigeants de ces établissements. Mercredi, les tensions ont même gagné l'université du Texas.

Les protestataires, dont des étudiants juifs et musulmans, réclament un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, mais aussi que leurs établissements boycottent Israël et désinvestissent des compagnies accusées d’alimenter la guerre à Gaza, dont les manufacturiers d’armes.

À Montréal, le trimestre d’hiver touche à sa fin dans la plupart des universités et les associations d’étudiants propalestiniens de l’UQAM, de l’UdeM, de Concordia et de McGill se font plus discrètes, même si elles continuent de se mobiliser chacune à sa manière.

Pour les représentants de ces associations, interrogés par Radio-Canada, la vague de manifestations de l’autre côté de la frontière est historique, mais pas surprenante.

Ce qui se passe aux États-Unis n’est pas un événement isolé, dit Zaynab, une étudiante de l’Université McGill qui souhaite préserver son anonymat par peur de représailles.

On a tous les mêmes demandes

Zaynab est l’une des organisatrices du mouvement d’étudiants en grève de la faim pour réclamer que leur université désinvestisse des institutions israéliennes et les boycotte.

Lancé en février dernier, ce mouvement, qui compte une quarantaine d’étudiants, est un recours de la dernière chance, selon elle. Certains des étudiants observent la grève de façon intermittente, mais deux ont dû être hospitalisés après avoir passé plus de 34 jours sans manger.

Le groupe dénonce notamment un investissement de l'Université McGill dans le fabricant d'armes américain Lockheed Martin. Selon les données publiques de l’université, la valeur de cet investissement a été de près de 520 000 $ en 2023.

Selon elle, la vague de protestations pourrait faire son chemin jusqu’au Canada si les appels des étudiants continuent d’être ignorés.

Quand il y a une accumulation de répression, de menaces, de manque de sensibilité, de manque de réponses, c’est certain que les gens vont escalader, dit-elle. Je ne pourrais pas dire quand ou comment, mais ce qui se passe aux États-Unis va se reproduire ici.

Liberté universitaire

L’Université McGill a décliné une demande d’entrevue de Radio-Canada, mais le service des relations avec les médias de l’établissement affirme que deux membres de la haute direction ont eu une rencontre avec des étudiants en grève de la faim le 12 avril dernier.

Les représentants de l’université disent avoir fait part de leurs préoccupations quant à la santé et au bien-être de ceux et celles qui font la grève de la faim, mais ont invité le groupe à exprimer ses craintes concernant le désinvestissement et les partenariats institutionnels au moyen des processus établis de l'université.

Les relationnistes de McGill évoquent, par ailleurs, la liberté universitaire dont jouissent ses enseignants, affirmant que l’université ne peut s'opposer à ce qu'un professeur cherche à faire de la recherche avec un établissement ou un chercheur d'une autre province ou d'un autre territoire.

Le bras de fer entourant la question palestinienne n'est pas nouveau à l'Université McGill.

Fin novembre, la Cour supérieure du Québec a rendu une ordonnance empêchant temporairement une association étudiante de l'université d'aller de l'avant avec une politique propalestinienne, approuvée par 78,7 % des étudiants lors d’un référendum.

Cette politique appelle l'administration de McGill à condamner ce que l'association appelle une campagne de bombardements génocidaire dans la bande de Gaza et à couper les liens avec chaque entreprise, institution ou individu complice du génocide, du colonialisme, de l'apartheid ou du nettoyage ethnique contre les Palestiniens.

Une étudiante juive anonyme de McGill s'est adressée au tribunal pour contester cette politique, qu'elle a qualifiée dans des documents judiciaires de littérature haineuse qui viole la Constitution de l'association étudiante ainsi que ses politiques en matière d'antisémitisme et d'équité.

Mais Zaynab n'est pas prête à baisser les bras. Elle rappelle qu’en 1985, un mouvement d’étudiants noirs avait forcé McGill à devenir la première université canadienne à se désengager des entreprises liées à l'apartheid en Afrique du Sud.

Ça s’est passé il y a 40 ans, ça peut se reproduire ici, maintenant, dit-elle.

La complicité des universités

Hannah Jackson, du Syndicat des étudiants de l’Université Concordia, qui représente plus de 35 000 étudiants de premier cycle, voit elle aussi un lien entre le mouvement de protestation propalestinien sur les campus américains et ceux qui ont eu lieu au Canada, notamment à l’automne dernier.

Le principal objectif de toutes ces manifestations est de conscientiser le public par rapport aux bombardements de la bande de Gaza, mais aussi à la violence en Cisjordanie, explique-t-elle.

Ce que nous demandons est clair : que les universités désinvestissent des entreprises israéliennes, ajoute la jeune femme, rappelant que les étudiants de Concordia ont voté en 2022 pour une résolution appelant leur établissement à boycotter les pays accusés d’apartheid par les organisations internationales de défense des droits de la personne.

Montée des actes haineux

À l’automne, alors que la guerre dans la bande de Gaza n’était encore qu’à ses débuts, plusieurs manifestations tendues avaient secoué Concordia, suscitant des condamnations de la classe politique au Canada.

Début novembre, des échauffourées avaient éclaté entre deux groupes — l’un propalestinien, l’autre pro-israélien — dans un pavillon de l’Université Concordia et avaient mené à l’arrestation d’une étudiante de 22 ans.

Les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault avaient notamment dénoncé une montée des actes haineux, appelant la police à faire preuve de fermeté s’il le fallait.

En janvier, les recteurs des principales universités canadiennes ont dû clarifier leurs positions sur leurs politiques en matière d'antisémitisme sur les campus après avoir été publiquement interpellés par cinq députés libéraux.

Ils ont affirmé que tout appel au génocide du peuple juif viole le code de conduite de leur établissement, mais sont restés prudents sur la question de savoir si cette interdiction s'étendait aussi aux déclarations en faveur de l'élimination de l'État d'Israël.

Selon Safa, une étudiante de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), membre du comité de coordination du groupe Solidarité pour les droits humains des Palestiniennes et Palestiniens (SDHPP), il faut faire la différence entre antisionisme et antisémitisme.

Des motions en faveur du boycottage

Depuis le 20 mars, toutes les associations étudiantes de l’UQAM ont adopté un mandat en faveur du mouvement de boycottage et de désinvestissement visant les entités économiques, militaires, académiques et culturelles israéliennes, ainsi que les entreprises complices des violations des droits du peuple palestinien.

C’est une première au Canada, se réjouit Safa, affirmant que la prochaine étape sera de faire pression sur les associations de professeurs universitaires et sur l’administration de l’UQAM pour appuyer la même résolution.

À l’Université de Montréal, les professeurs ont déjà franchi ce pas. Le 26 mars, leur syndicat, le SGPUM, qui représente près de 1400 enseignants et cliniciens enseignants, a adopté une motion appelant, entre autres, à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et au boycott des universités israéliennes complices des crimes de guerre israéliens, jusqu’à ce qu’Israël se conforme à toutes ses obligations en droit international.

C’est quand même exceptionnel, dit sur un ton excité Nada Djema, coprésidente du groupe propalestinien SDHPP à l’Université de Montréal, tout en espérant que cela va inspirer les enseignants de toutes les autres universités à Montréal et dans toute l’Amérique du Nord.

Elle dénonce toutefois le fait que l’Université de Montréal (UdeM) poursuit son programme d’échanges étudiants avec des établissements israéliens.

Sur son site web, l’université indique avoir des programmes d’échanges avec l’Université Ben-Gourion du Néguev, ainsi qu’avec l'Université hébraïque de Jérusalem et l'Université de Tel-Aviv.

L'UdeM international suit de près la situation géopolitique dans la région de cet établissement, peut-on lire sur son site en référence à l'Université du Néguev, qui se trouve à environ 40 kilomètres de la bande de Gaza. À cet effet, nous invitons [les étudiants] à communiquer avec nous par courriel [pour] effectuer un programme d’échanges dans cet établissement.

Contactée par Radio-Canada, l'équipe de mobilité étudiante de l’Université de Montréal n'avait pas répondu à nos questions à la publication de ces lignes.

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