MENACéS DE FERMETURE, DES BARS à CHICHA CLANDESTINS D’OTTAWA DEMANDENT DE LA SOUPLESSE

Pour accéder au populaire salon de chicha du quartier Blossom Park d’Ottawa, les clients passent par une porte secrète située près des bennes à ordures à l’arrière du bâtiment, puis montent quelques marches jusqu’à une autre porte où une caméra de sécurité protège des visiteurs indésirables.

Les personnes autorisées pénètrent dans une salle spacieuse et lumineuse, remplie de tables et de chaises, où des dizaines de jeunes hommes et de jeunes femmes sont assis en groupe, discutant et sirotant du thé tout en tirant tour à tour des bouffées sur des pipes à eau.

L'ambiance est calme et conviviale, et rien ne laisse présager que ce qui se passe entre ces murs est illégal, l'équivalent moderne d'un bar clandestin à l'époque de la prohibition.

Selon le Service des règlements municipaux d'Ottawa, il existe actuellement 13 salons de chicha clandestins dans la ville, alors qu'ils étaient deux fois plus nombreux il y a cinq ans.

Les responsables des règlements municipaux reconnaissent qu'il pourrait y en avoir d'autres dont ils ignorent l'existence.

Se cacher au vu et au su de tous

À Ottawa, la plupart des établissements se cachent au vu et au su de tous. Plusieurs établissements font ouvertement de la publicité et certains affichent des photos et des vidéos de leur établissement en ligne.

Certains fonctionnent comme des clubs privés, de sorte qu'il faut connaître quelqu'un pour y entrer. Dans certains cas, les membres reçoivent des cartes d'accès.

Les propriétaires de ces établissements affirment que fumer la chicha est une coutume sociale essentielle à leur identité culturelle et à celle de nombreux clients.

Pour nous, la chicha est un moyen de rassembler les gens, explique le propriétaire d’un salon illégal, Fadi Lteif. Il est aussi propriétaire d’un fournisseur de chicha dans le sud d’Ottawa, My Hookah Canada.

Hussein Houseini, un membre de la diaspora libanaise, croit que fumer la chicha remplit la même fonction sociale dans cette culture que boire une bière après le travail au Canada.

En tant que musulmans, nous ne buvons pas. Comme il est interdit de boire, nous fumons la chicha lors des rassemblements, ajoute-t-il.

CBC a récemment visité plusieurs salons de chicha à Ottawa, dont celui de Fadi Ltief. Ce dernier décrit l’endroit comme un club privé et affirme connaître toutes les personnes qui franchissent la porte.

Le propriétaire dit aussi être convaincu que le règlement municipal modifié et la répression actuelle constituent une atteinte à sa liberté d’observer une coutume ancestrale qui est au cœur de son identité culturelle.

Je possède mon salon parce que j'aime ma culture et que je veux la pratiquer au Canada, dit-il.

Des règles strictes, des amendes salées

En 2001, le conseil municipal d’Ottawa a adopté un arrêté interdisant de fumer dans les restaurants, les bars et les salles de bingo. Cinq ans plus tard, la Ville a interdit de fumer la chicha dans les lieux publics, mais a accordé un délai supplémentaire pour permettre aux propriétaires d’entreprises de s’adapter avant que la loi ne commence véritablement.

Mais les agents municipaux ont parfois des bâtons dans les roues, car les portes sont parfois verrouillées, ce qui a pour conséquence qu’ils ne nous laissent pas entrer, explique la responsable du programme des services d’application de la loi au sein du Service municipal, Jennifer Thorkelson.

Avant d’infliger une amende, les agents municipaux doivent avoir une preuve tangible que les clients fumaient bel et bien la chicha, rappelle Mme Thorkelson. De ce fait, s’ils ne peuvent pas entrer dans un commerce, cela peut être difficile à prouver.

Selon le règlement municipal sur l’usage de produits à fumer ou à vapoter, les employeurs, les propriétaires, les propriétaires fonciers et d'autres personnes peuvent être poursuivis pour avoir permis de fumer la chicha dans un lieu public fermé ou sur un lieu de travail, y compris dans les restaurants extérieurs et les terrasses de bar.

Les clients peuvent également se voir infliger des amendes s'ils fument des pipes à eau dans ces lieux. Même la simple présentation d'une pipe à eau est interdite si elle contient un produit à fumer.

L'amende fixée est de 320 $, mais les récidivistes peuvent recevoir une citation à comparaître devant le tribunal des infractions provinciales où un juge de paix peut imposer des amendes beaucoup plus élevées, pouvant aller jusqu'à 100 000 $. Le service des règlements de la Ville précise que cette procédure est rare et qu'elle n'est appliquée que dans des circonstances extrêmes.

Un règlement répressif

L’année dernière, les agents du Service des règlements municipaux ont effectué 61 inspections liées à la chicha et ils ont dressé 28 procès-verbaux à l’encontre de huit entreprises.

Depuis le début de l’année, ils ont infligé 27 amendes à 9 établissements entre le 1er janvier et le 27 mars, ce qui semble indiquer que la Ville durcit son approche.

Du côté de Gatineau, le Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) indique qu'en 2023 et 2024, sept constats ont été émis.

Mais considérant que les policiers ont une période de prescription d’une année après la perpétration d’une infraction, ce chiffre pourrait changer. Habituellement, le délai de prescription débute à la date où le poursuivant est informé de l’infraction, précise le SPVG par courriel.

À Ottawa, Jennifer Thorkelson insiste sur le fait que la faillite des entreprises n’est pas l’objectif de cette répression.

Il n’y a aucune raison pour que nous intervenions et que nous fermions complètement l’établissement, assure celle qui a déjà vu des propriétaires fermer leurs portes avant de rouvrir sous un nouveau nom.

Brian Mahmoud pense qu’il y a au moins deux fois plus de salons de chicha à Ottawa que ce que la Ville croit.

Le restaurant de M. Mahmoud, le Lebanese Palace, avait son bar à chicha avant l'interdiction.

Il a été contraint de fermer la section après que le règlement a été modifié pour cibler à la fois les propriétaires de commerces non conformes et leurs propriétaires.

À la suite d’une visite des policiers, le propriétaire du bâtiment lui a donné 24 heures pour cesser ses activités liées à la chicha, faute de quoi son bail aurait été résilié.

J'ai donc dû arrêter la chicha, raconte-t-il.

Aujourd'hui, une partie de son commerce de l'avenue Industriel reste vide la plupart du temps. Quelques fois des clients réservent pour des événements spéciaux tels que des mariages ou des anniversaires. Ça lui arrive aussi d’engager un groupe de musique le vendredi, mais constate qu'il est difficile de remplir l'endroit sans offrir de chicha.

J'ai de la chance si j'arrive à faire venir 30 personnes, parce qu'à 22 h ou 23 h, tout le monde est parti dans son bar à chicha ou dans les bars à chicha clandestins, explique M. Mahmoud.

Essuyant des pertes, ce dernier a donc décidé de déposer un recours en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés contre la ville en 2017, mais il l'a ensuite abandonné lorsque cela s'est avéré trop coûteux, un an plus tard.

Nous avions tout ici, mais la Ville nous l'a enlevé, déplore-t-il.

Laissez-nous pratiquer notre culture

Le règlement municipal sur le tabagisme autorise certains aménagements lorsque le tabac est utilisé à des fins culturelles ou spirituelles traditionnelles. Selon ce règlement, les Autochtones sont autorisés à fumer ou à transporter du tabac allumé pour les cérémonies traditionnelles.

Au lieu d'interdire purement et simplement la chicha, M. Lteif souhaiterait qu'une dérogation similaire soit accordée aux personnes qui affirment que la chicha fait partie de leur tradition culturelle.

Après tout, les salons de chicha ne disparaîtront pas parce que la demande demeure, dit-il. Ils vont simplement s'adapter.

M. Lteif estime qu'il serait préférable pour tout le monde que la pratique soit réglementée, mais légalisée.

Laissez-nous pratiquer notre culture, plaide-t-il.

Avec les informations de Rachelle Elsiufi, de CBC News

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